Toute une époque ! En 1970, forts chacun d’une solide expérience en groupe, Keith Emerson (The Nice), Greg Lake (King Crimson) et Carl Palmer (Atomic Rooster) se réunissent dans une formation originale pour l’époque : le trio. La combinaison ELP ne pouvait fonctionner que si les trois musiciens faisaient montre d’un talent exceptionnel, et certes, ce fut le cas. Si le son du groupe était dominé par les synthétiseurs orgueilleux de Keith, la sauce n’aurait pas si bien pris sans le travail phénoménal de Carl aux percussions (comment oublier sa contribution sur Trilogy, le morceau ?) ni sans l’apport mélodique, vocal et instrumental de Greg, un bassiste qui savait se muer en guitariste de talent à l’occasion.
Ces trois fortes personnalités nous ont livré une dizaine d’albums studio, marquant leur époque surtout dans les productions des débuts. Brain Salad Surgery représente le point culminant de leur popularité, et ce sont les sessions d’enregistrement de la tournée suivant sa parution qui composent ce Welcome back, my friends, to the show that never ends (paroles extraites de l’introduction de la seconde partie de Karn Evil 9, 1st impression).
ELP est un groupe qui a marqué les esprits par ses prestations scéniques. D’ailleurs leur discographie recèle presque deux fois plus d’albums live que d’enregistrements studio ! Deux ans plus tôt, le premier enregistrement en public du groupe s’était situé dans un domaine où il excelle : l’adaptation d’œuvre classique (en l’occurence Les Tableaux d’une Exposition de Modeste Moussorgsky). Ici, peu d’inédit, juste les reprises de morceaux studio issus de leurs quatre premiers albums.
De Trilogy, pratiquement rien, à part le morceau qui ouvre le show (Hoedown, l’occasion pour Keith de se mettre en avant d’entrée avec un solo de synthé bien déjanté), et une partie de The Sheriff, accolé logiquement avec un autre rockabilly, Jeremy Bender (dans lequel Keith et Carl s’amusent bien sur le final !).
Nous retrouvons presque l’intégrale de Brain Salad Surgery - promotion oblige. Rien d’original ici, les prestations scéniques sont très conformes à l’enregistrement studio, quoique souvent jouées plus rapidement.
Du premier album (la colombe) sont extraits Take a Pebble, et Lucky Man dans une version guitare sèche / voix, intimiste, sensible et bienvenue.
Histoire de faire du neuf, nous avons droit aux Piano Improvisations menées par un Keith toujours très technique, mais assez barbant quand il évolue en solo (émotion, où es-tu ?). Par contre, l’évolution vers une partie jazz en trio “conventionnel” piano-batterie-basse est pleine d’allant et très réussie.
J’ai gardé le meilleur pour la fin : le groupe pouvait difficilement faire l’impasse sur Tarkus, le morceau-monstre. Et autant l’interprétation de Karn Evil 9 est proche de l’original, autant la relecture de Tarkus apparait comme une magnifique réussite parfaitement adaptée au contexte du live. Il serait fastidieux de détailler toutes les variations apportées à la version originale - citons quand même pour le plaisir la magnifique intégration du refrain d’Epitaph dans le final de Battlefield, en apesanteur - mais il serait très dommage de passer sous silence LA claque de ce live, je veux parler d’Aquatarkus ! Ce qui n’était qu’un petit pont musical sans grand intérêt dans l’original se transforme en un énorme morceau atmosphérique d’une dizaine de minutes porté par les percussions d’un Carl Palmer particulièrement en verve et les claviers dominateurs de Keith Emerson, sous-tendus par une basse obsédante. La lente montée en puissance des claviers aboutit à une explosion tensionnelle ahurissante vers la fin du morceau. Assurément la perf d’ELP que tous les fans absents regrettent de ne pas avoir vécu en public !
Cet album live est un témoignage d’époque : celui d’un groupe unique arrivé au faîte de sa popularité (avec une certaine mégalomanie, le triple vinyle original s’ouvre, montrant chaque disque enchassé dans les trois gigantesques lettres E L P), avec les défauts techniques inhérents à la prise de son live des annnées 70 : si les claviers sont assez nets, la basse et même souvent la batterie sont souvent imprécisément captées. Malgré tout, une sacrée perf, digne du Made in Japan de Deep Purple ou du Yessongs de Yes. Le Live at the Royal Albert Hall (1993) est peut être plus représentatif de l’ensemble de l’œuvre d’ELP, mieux enregistré, mais il n’a pas l’âme exceptionnelle de ce Welcome Back !