Quelle est la question que l'on t'a trop souvent posée ?
Joe Satriani : Quelle est la différence entre cet album et tous les autres (Rires). C'est la question la moins créative possible. Mais les médias non spécialisés s'en sont déjà occupés !
Concernant ton nouvel album "Unstoppable Momentum", quelle direction souhaitais-tu lui donner avant de débuter le processus d’enregistrement ? Cet album mixe un Satriani classique avec des moments plus audacieux. Voulais-tu surprendre ton public ?
Déjà je voulais me surprendre moi !
Y es-tu parvenu ?
Oui (Rires) ! Je me suis constitué un matériel assez large puis demandé quels seraient les 15 titres que j’emmènerais au studio. La direction n'a donc été décidée qu'au tout dernier moment. J'ai aussi invité de nouveaux musiciens pour m'accompagner comme Vinnie Colaiuta et Chris Chaney. Nous n'avions jamais vraiment joués ensemble avant cet enregistrement. Si nous y ajoutons Mike Keneally aux claviers, nous obtenons un groupe très particulier et nouveau.
Tu parles de Vinnie Colaiuta, je trouve qu'il apporte un groove certain à tes titres. Était-ce une volonté recherchée ?
Oui. J'ai toujours utilisé le batteur dans le but principal de pousser les musiciens dans la même direction. Que cela soit Jeff Campitelli, Manu Katché ou encore Greg Bissonette, chacun le faisait à sa façon et imposait son rythme pour ainsi dire. Là, je me suis dit "Laissons Vinnie apporter son groove et son soul aux titres, même aux titres les plus Rock après tout, cela apportera quelque chose de frais et de nouveau !".
Et cette collaboration est-elle une session sans suite ou comptes-tu retravailler avec lui sur un prochain album ?
Tu sais, je me disais que je serai déjà très heureux de pouvoir l'avoir avec moi pendant 10 jours. Donc de là à l'espérer sur un prochain album (Sourire)...
"J'aime tellement la musique que je l'explore en tant que musicien."
La période de 6 ans qui s'étend de 1992 à 1998 avec les albums "The Extremist", un classique, "Joe Satriani" plus Blues et cru, et "Crystal Planet" plus complexe et électro montre que tu aimes le changement. Pourquoi bousculer ainsi en permanence ton univers ?
J'aime ça ! J'aime tellement la musique que je l'explore en tant que musicien. "Engines Of Creation" (2000) par exemple est issu d'une collaboration avec Eric Caudieux. Et ce fut un grand moment de pouvoir enregistrer avec un processus et des outils complètement différents de mes habitudes. Je l'ai aussi retrouvé par la suite sur "Strange Beautiful Music" mais aussi "Is There Love In Space ?", en tant que musicien ou coproducteur. J'aime travailler avec des gens très différents de mon milieu. Avec le recul, je dois bien avouer que la décennie de 1990 à 2000 fut vraiment particulière d'un point de vue musical pour moi !
A ce propos, depuis "Not Of This Earth" il ne s'est pas passé trois ans sans la sortie d'un nouvel album. Quelles sont tes motivations pour maintenir un tel rythme, surtout dans cette période si difficile pour le marché du disque ?
Je crois que si j'avais un autre métier que celui-ci, je composerais toujours autant de musique. C'est mon plaisir, mon besoin ! Je suis donc très reconnaissant d'avoir un public qui me réclame et grâce auquel je peux vivre de ce métier. Je dis toujours aux gens qu'il y a pour moi trois choses importantes et très distinctes autour d'un titre : le composer, l'enregistrer et le jouer en live. Et le jouer en live, face à ces gens qui me suivent et apprécient ma musique me permet souvent de mieux comprendre un titre parfois créé de façon très spontanée.
"Mon but est de trouver ce qui pourra toucher l'âme des gens"
Comment as-tu fait évoluer ta configuration sonore depuis "Not Of This Earth" ?
La guitare n'a pas vraiment évoluée, je reste majoritairement sur 6 cordes, un manche avec diapason de 24 pouces ou 25,5 maximum avec micros double bobinage. J'utilise toujours des amplis à lampes Marshall, parfois Peavey. Bien sûr, j'ai fait l’acquisition de quelques nouvelles pédales mais ce qui change vraiment c'est notre oreille et comment nous décidons que cela doit sonner.
Par exemple, sur le dernier album il y a ce titre appelé 'I'll Put A Stone On Your Cairn' sur lequel je sonne différemment et utilise d'autres techniques avec les doigts. Jamais auparavant je n'avais joué ainsi, ni accompagné de tels instruments comme le cor ou l’orchestre. Mon but est de trouver ce qui pourra toucher l'âme des gens.
Tu parles de la voix de la guitare, ça me rappelle ce que Steve Vai disait le mois dernier en donnant une de ses guitares au Hard Rock Café de Paris. Un jour en jouant avec Queen il s'est branché sur l'ampli de Brian May et pensait qu'il sonnerait comme May mais en fait pas du tout ! Sais-tu que le son Satriani, pour ceux qui aiment la guitare, est reconnaissable entre mille ?
Je ne l'entends pas non ! J'entends, ressens un feeling au fond de moi et j'essaie d'en écrire la mélodie, le rythme et les harmonies pour l'exprimer. C'est mon seul but ! Les gens trouvent que ça sonne comme du Joe, mais moi je n'entends pas ça.
Les gens te considèrent comme un guitar-hero, te considères tu toi même comme tel ?
Non ! Les guitar-heroes sont Hendrix et Brian May !
Tu as eu ta période électro, ton dernier album est très varié, quelle voies comptes-tu emprunter à l'avenir ?
Je n'y ai pas encore pensé et il est trop tôt pour le dire. J'ai composé pas mal de choses assez bluesy pour le prochain Chickenfoot et d'autres plus expérimentales pour mon matériel personnel mais à ce jour il est trop tôt pour savoir ce qui finira sur le prochain album.
C'est une chance de pouvoir mener ainsi deux carrières bien distinctes de front. Mais pour en revenir à toi pourquoi la symbolique du vol, de la vie extraterrestre est-elle aussi présente dans ta discographie ?
Pour moi, il est évident que notre planète n'est pas la seule à abriter des formes de vie. Les gens pensent trop petit : "la chaise, le tapis, cette bouteille d'eau....".
Je me dis que nous sommes qu’un grain de poussière sur cette terre, qui est elle même un grain de poussière dans la galaxie, qui est un grain de poussière dans l'univers. Et là, il y a matière à l'inspiration !
Est-ce pour cela que tu as fondé un groupe avec Sammy Hagar qui dit avoir vécu une expérience extraterrestre ?
Très bonne question, est-ce un hasard (Rires) ?
"Je me considérais alors comme quelqu'un pouvant chanter sans pour autant être un chanteur comme Robert Plant"
En parlant de chanteur, on pouvait t'entendre chanter sur tes premiers essais comme dans 'Flying In A Blue Dream', pourquoi avoir cessé par la suite ?
Je ne me suis jamais senti très confortable dans ce rôle. Tu sais de 1979 à 1984 j'étais dans un groupe appelé The Squares. Je me considérais alors comme quelqu'un pouvant chanter sans pour autant être un chanteur comme Robert Plant. Parfois j'essaie mais dès que j’entends ma voix je me dis "Oh Non !" (Rires) !
Justement comment jugerais-tu cette période avec The Squares ?
C'était vraiment une très bonne période, très excitante, mais aussi très... dépourvue de succès (Rires) !
Pourquoi n'utilises-tu pas plus de guitare acoustique dans tes albums ?
Car je n'en ai pas ! Je n'ai que deux guitares électriques. Une bonne guitare acoustique coûte un bras. Un de mes amis manager m'en a offert une un jour et j'en ai joué sur 'Rubina's Blue Sky Happiness' dans "The Extremist". Depuis j'essaye d'en apporter un peu ici et là dans mes albums.
Tu as participé au G3, n'as-tu jamais pensé à proposer un album studio avec Steve Vai ou à participer à un autre G3 ?
Nous en avons parlé pour fin 2015. Tu sais, Steve est un grand ami et nous avons tous les deux un grand livre chez nous rempli de nombreuses idées concernant tout ce que nous souhaitons encore enregistrer à l'avenir mais nous n'avons simplement pas assez de temps !
Avant de terminer cette interview, quel est ton meilleur souvenir en tant que musicien ?
De toute ma vie ? J'espère que ce sera ce soir (Rires) !
Et au contraire quel pourrait être le pire ?
A chaque fois qu'on me demande d'arrêter de jouer. Une fois, dans un pays étranger, nous jouions depuis à peine douze minutes et l'armée est montée sur scène avec des mitraillettes. Les fans étaient tellement déçus ! C'est un moment très difficile à vivre car nous étions coincés entre le désir de ces jeunes et des décisions arbitraires de leur gouvernement.
Nous avons débuté cette interview par la question que l'on t'a trop souvent posée. Au contraire, qu'elle serait celle à laquelle tu aimerais répondre ?
Ce serait sans doute "Quelle est ta principale source d'inspiration ? Sur quel thème composes-tu ?". C'est bien entendu l'amour. C'est le lien entre chaque chanson ! L'amour dans mes relations aux gens de façon générale (femme, enfants, amis, parents...)
Justement n'est-ce pas trop difficile d'être si éloigné de ta famille durant ces tournées ?
C'est difficile bien sûr. Mais depuis que mon fils à 4 ans nous calons nos tournées sur ses périodes de vacances pour pouvoir l'emmener avec nous. Maintenant qu'il est à l'université c'est plus simple. Ma femme m' accompagne très souvent donc c'est plus facile aujourd'hui.
Ton fils écoute-t-il ta musique ?
Certainement pas ! C'est une nouvelle génération ! Il écoute beaucoup de Classic Rock, de Hip Hop à l'ancienne, de la Soul...
Pourtant tu as beaucoup de fans de cet âge là !
Oui mais il entend ce que je joue à longueur de journée, du matin au soir, donc il a besoin d'autre chose (Rires) ! J'ai la chance d'avoir une famille très respectueuse de cela. Mon fils m'a certainement entendu jouer bien plus que mes fans mais pour autant il n'a jamais dû écouter un seul de mes albums une fois terminé. Je suis très fier de lui, de sa carrière (il se lance dans le cinéma) et je le serais toujours.
Et tes parents doivent être fiers de toi également ?
Sans doute. Ils se sont fait du souci pour le jeune guitariste que j’étais à mes débuts et ensuite de par l'environnement qui colle aux artistes comme l'alcool et les drogues. Mais aujourd'hui ils sont bien plus rassurés.
Un dernier mot, en français peut être, pour les lecteurs de Music Waves ?
Je peux dire (en français) "Bonsoir" et d'autres choses comme ça mais ce que j'aimerais faire c'est les remercier pour leur grande fidélité depuis des années.
Les français ne sont pas réputés pour être de grands fans de rock, comment expliques-tu cet attachement ?
Je crois que nous parlons le même langage... musical ! Les français sont des gens passionnés qui n'ont pas peur de suivre un artiste profondément. Si l’artiste est sincère et passionné, alors les fans français y adhèrent sans problème.
Merci à Nuno pour ses questions et MrBlue sans qui vous ne liriez pas cette interview...
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