Tout le monde sait que vous vous connaissez depuis longtemps, et Richard a notamment joué sur ton album solo, Steve, "Ice cream genius". Tu as été aussi influencé par Japan… Comment est venue l'idée de faire cet album ensemble ? Peut-on, dire que cette réunion été planifiée depuis longtemps mais que vous n'avez pas eu le temps ?
Steve Hogarth : Oh, je ne sais pas si on peut dire que j'ai été influencé par Japan mais c'est sans aucun doute un groupe que j'ai toujours apprécié, oui.
Richard Barbieri : Oui, on peut dire que cette collaboration est naturelle, depuis le temps que nous nous connaissons et que nous sommes de bons amis, d'autant plus que j'ai déjà joué effectivement sur l'album solo de Steve, il y a déjà plus de dix ans. Je suis content d'avoir initié cela, mais effectivement, le tout était de trouver le temps de travailler ensemble et il était temps, vraiment. Cela renforce notre amitié d'avoir fait cet album.
On peut-on dire que cet album est le prolongement naturel de votre amitié. Quelle pourrait en être la prochaine étape ?
Steve : Eh, bien écrire une pièce de théâtre, de toute évidence (Rires)
Richard : (Pince-sans-rire) Ou alors, on pourrait écrire autre chose : un guide de voyage, par exemple…
Steve : (Rires) Non, sérieusement, on pourrait bien faire un autre album en collaboration, par la suite. Oui, dans quelques années, lorsque nous aurons pris un peu de distance par rapport à ce disque et que nous serons tous les deux arrivés autre part, musicalement parlant.
[IMAGE1]
Cet album est assez surprenant de la part de deux musiciens qui viennent respectivement de groupes tels que Porcupine Tree et Marillion…
Steve : Très bien. Je suis content que vous pensiez cela parce que, sinon, quel serait l'intérêt de faire un tel album ensemble ?
Richard : Oui, beaucoup de gens ont commenté l'album en disant qu'ils l'aimaient beaucoup mais qu'ils étaient surpris. C'est difficile pour nous de juger parce que nous faisons pourtant ce que nous sommes. La voix de Steve est facilement reconnaissable même s'il fait quelques trucs qu'il n'avait jamais fait auparavant et mon approche naturelle de la musique est là, de toute façon !
Je pense que ce disque est un mélange parfait entre votre approche musicale et les mélodies vocales de Steve…
Steve : Peut-être parce que je n'ai pas été impliqué sur un plan purement musical, je n'ai pas composé les musiques, je n'ai travaillé que sur les parties vocales… Et c'est ça que je voulais. Richard m'a dit que je pouvais ajouter des parties instrumentales si j'en ressentais l'envie. Mais je me suis dit que tout ce que je pourrais rajouter diminuerait l'impact de ces musiques en fin de compte, que cela affecterait l'identité de cette musique d'une façon négative, alors qu'en laissant la musique intacte, cela renforcerait le côté unique de ce qu'il fait toujours. Richard était en fait plus enclin que moi à faire collaborer d'autres musiciens, tandis que je m'y opposais tout le temps (NDLR : il y a quelques invités pour des parties de batterie, de percussion et de guitare ici et là). Il me disait : "Mettons un peu de rythme ici et là" et je disais : " Oh, non, c'est bien comme ça !"… Bien sûr, j'ai construit les parties vocales et je les ai toutes enregistrées, mais je n'ai pas joué d'instrument, juste un peu de percussion et de dulcimer sur "Naked" mais c'est tout.
Je voulais savoir si durant ce processus, Steve a néanmoins influencé l'évolution des morceaux en termes de conseils et à quel point du point de vue de la structure, les morceaux ont évolué par rapport au matériel musical fourni au départ ? Richard, dernièrement, pour une fois, on a entendu un morceau entièrement composé par toi, paroles et musique sur "The incident" de Porcupine Tree. Alors as-tu écrit certains morceaux en pensant au départ à les transformer en chansons avec des paroles et particulièrement des parties vocales que chanterait Steve ?
Richard : Je pense qu'en ce qui concerne Porcupine Tree, j'essaie de présenter des parties qui pourraient conduire à des chansons à Steven Wilson. Je ne propose presque jamais de chansons terminées, en fait je ne suis pas un compositeur de chansons. Mais j'ai des idées de ce qui à mon avis pourrait marcher. En général, avec lui, sur 10 choses qu'on lui présente, il n'y en a qu'une de retenue (Rires). Mais c'est parce qu'il raisonne en terme de chanson entière. Alors il écoute mais se décide rapidement et dit : "Hum, non, je ne vais pas pouvoir, laissons tomber celle-ci" et il passe à la suivante.
J'ai écrit entièrement la chanson "Black dhalia" sur le dernier album et j'avais co-écrit le morceau "My ashes" sur le précédent aussi. Mais cela ne représente qu'environ 10% de ce que j'avais présenté. Avec Steve, c'est différent, je lui ai donné en disant : "Voici ce que j'ai en tête, vois ce que tu peux en faire. Je ne lui ai donné aucune instruction, aucune recommandation supplémentaire. Je lui ai juste envoyé ces musiques et j'ai attendu en me demandant avec plaisir ce qui allait en ressortir, c'est comme une surprise qu'on attend, vous savez. Et Steve a fait tous ces arrangements de parties vocales multiples. C'est assez atmosphérique, un peu comme lorsqu'il travaille pour Marillion, en fin de compte, même s'il n'a pas composé au piano.
Donc, Steve n'a pas trop influencé la structure…
Steve : Ca dépend un peu des morceaux. "Red kite" est à peu près structurée exactement comme elle l'était au départ, mais j'ai relativement bricolé" sur "Crack", qui a été édité, peut-être un peu trop, finalement. Richard a changé l'ordre des séquences après ma première contribution, j'ai alors rajouté d'autres parties il a ensuite modifié de nouveau l'arrangement… Vraiment, ça dépend des morceaux. Il y a aussi des modifications sur "Only llve will set your free"
Mais ce morceau est très structuré et on sent que vous le portez avec vos mélodies. Je pense que ton chant sur ce morceau est vraiment ce que l'on peut attendre de la part de Steve Hogarth…
Steve : Oui, probablement ! On peut reconnaître un peu ma patte sur ce titre. Par contre, sur "Lifting the lid", Richard m'avait envoyé cette musique en me disant simplement - et c'était le seul cas - quelque chose du genre : "Ecoute, je t'envoie cette musique, je l'aime beaucoup mais je ne veux pas forcément que tu fasses quelque chose de ce morceau là". Et je n'ai pas pu m'empêcher d'y mettre mon grain de sel et de bâtir quelque chose à partir de ce morceau aussi ! Alors j'ai essayé de garder à l'esprit qu'il ne souhaitait pas vraiment que je travaille une partie vocale dessus en me disant qu'il ne voudrait probablement pas de ce que je faisais. J'ai essayé de créer de la musique avec ma voix, de rajouter des textures plus que de mettre des paroles et un air. Et au final, c'est l'une de nos pièces préférées.
Steve as-tu changé ton chant parfois pour garder le rythme de la musique ?
Steve : Je sais que Richard est un musicien qui crée des paysages sonores magnifiques et assez radicaux également. Mon approche pour ajouter mes parties vocales sur ses musiques a été de créer des atmosphères, à sa façon, de faire quelque chose qui soit intéressant sur le plan sonore, et assez radical aussi et qui soit, à défaut d'une meilleure expression, un peu "avant-garde". Donc j'ai essayé de mélanger des vocaux évoquant quelqu'un qui murmure, qui parle, qui chante juste en face de vous, pas successivement mais tout cela en même temps, ce que je n'aurai probablement jamais eu l'idée de suggérer pour un album de Marillion parce qu'ils me diraient sans doute "Mais bon sang, qu'est-ce que tu essaies de nous faire, là ?". Je dis ça mais peut-être qu'ils trouveraient ça super... mais disons que ce n'est pas quelque chose auquel je pense avec eux généralement, c'est un peu trop radical.
Je suppose que vous devez être conscients que les fans de vos groupes respectifs pourraient être déçus par cet album ?
Steve : Oh, honnêtement, je ne pense jamais à ce genre de choses lorsque je crée de la musique. Je ne fonctionne pas comme ça. Les gens sont libres d'aimer ou de ne pas aimer. C'est une œuvre artistique, pas un produit pour un marché. Si personne n'achetait ce disque et je dis bien personne, cela ne m'empêcherait pas de rester fier de ce qu'il contient. On ne l'a pas fait dans ce but.
En termes d'influences musicales, j'ai remarqué dans ce disque et aussi un petit peu dans Marillion récemment, quelques éléments communs avec ce qu'a pu faire Peter Gabriel, des sons de synthés abstraits, des éléments de musiques ethniques, etc. Est-ce qu'il fait partie des musiciens que vous appréciez ?
Steve : En fait, c'est peut-être l'inverse, peut-être que c'est Richard qui a influencé Peter Gabriel… Je ne me rappelle pas que Peter Gabriel ait utilisé des sons de clavier si intéressants que ça en 1985 alors que Richard le faisait, avec Japan. Je sais que Peter Gabriel écoute des tonnes de musique et il est bien possible qu'il ait été influencé… ce serait présomptueux de penser qu'il a écouté ce que j'ai fait à l'époque mais ce qu'a fait Richard avec Japan, oui. J'avais l'impression que Peter ne faisait plus grand chose depuis plus de dix ans, non ?
Je pensais au quatrième album de 1982, celui avec "Shock the monkey" et "San Jacinto", des sons de synthés abstraits issu du Fairlight, et en même temps ces rythmes africains, vous voyez ?
Steve : Ah, d'accord. J'ai en fait travaillé avec le même producteur que lui à l'époque : David Lord. C'était quelqu'un de très en vue à l'époque. En fait je pense que la ressemblance avec ce qu’a pu faire Peter Gabriel est une coïncidence. C'est un très grand artiste ceci dit, une grande force créative, un sacré bon chanteur - et un type sympa.
Richard : Oui, je vois ce que tu veux dire. Je ne vois pas forcément le lien musical exactement avec Peter Gabriel mais je pense plutôt au travail de Larry Fast avec qui Gabriel travaillait à cette époque aux claviers. Là, je vois des similitudes, oui. En fait, j'ai rencontré Larry Fast lorsqu'il jouait avec Tony Levin. Leur groupe a ouvert pour Porcupine Tree aux USA, à San Francisco, il y a quelques années, en fait ! C'est là que j'ai pu lui parler. Et lui connaissait mon travail des années passées. Mais à part sur ces albums de Peter Gabriel, je n'ai pas trop remarqué de travail sur de nouvelles sonorités électroniques depuis cette époque.
J'ai remarqué qu'il y a de la basse sur le disque et même parfois un peu de contrebasse. Il y a un moment où cela donne une petite coloration jazzy. Est-ce que c'est un genre que vous appréciez particulièrement.
Richard : Oui, nous avons Danny Thompson qui joue de la contrebasse sur "Naked". En fait, non, je ne suis pas particulièrement amateur de jazz mais ça ne veut pas dire qu'il n'y ait aucun élément de jazz dans ma musique.
Steve : Oui, c'est vrai, "Naked" a un petit côté "club de jazz" mais en même temps, il y a des éléments musicaux complètement étrangers au jazz.
Richard : Mais j'ai travaillé parfois avec des musiciens de jazz et les résultats ont été intéressants.
Histoire de parler un peu technique : on sait bien que tu es l'un des rares claviéristes à avoir continué à faire de la synthèse analogique tout au long de ta carrière, alors que d'autres, surtout de ta génération se sont contenté d'utiliser des sons d'usines et de répéter toujours les mêmes… Comment travailles-tu aujourd'hui, je fais allusion à ce disque, à vos deux albums en solo ?
Richard : En fait, le premier synthétiseur que j'ai acheté ressemblait à un gros standard téléphonique et il ne faisait pas un son ! C'est l'utilisateur qui devait créer chaque son, c'était un Roland 700. J'ai commencé à apprendre à réaliser tous ces changements de sons, à maitriser la synthèse analogique utilisant les formes d'onde, etc. J'ai d'abord essayé de reproduire des sons existants, une trompette, un xylophone, etc. J'ai acquis un certain savoir faire et je n'ai jamais utilisé les sons d'usines des claviers par la suite, je ne voyais pas l'intérêt. J'ai au contraire toujours essayé de bâtir mes propres timbres. Ceci dit, je ne suis pas snob, je ne me focalise pas à 100% sur les vieux claviers analogiques, j'utilise aujourd'hui beaucoup de synthétiseurs virtuels (des logiciels) mais aussi des claviers numériques. Mais j'ai toujours essayé d'obtenir un son chaud.
J'ai fait beaucoup d'interviews à propos de mon équipement mais en fin de compte, la musique vient de là-dedans (Ndr : il se touche la tête), de la personne. Parfois on a l'impression que tout le monde, comme tu le dis, avait le même son avec le minimoog mais ce n'est pas vrai : il y avait tout un ensemble de possibilités avec cet instrument et même avec un micromoog, que j'ai possédé. Parfois, on a l'impression que c'est limité mais cela vous force à être plus imaginatif si vous voulez créer quelque chose. C'est pour cela que parfois, cela peut être intéressant de n'avoir que deux claviers par exemple. On ne peut pas laisser l'instrument définir ce que vous allez faire. Je vais te dire quelque chose, s'il y avait un piano dans un coin de la pièce et que j'allais jouer dessus et que quelqu'un joue ensuite dessus, cela ne sonnerait pas pareil. Le toucher est important… Prends quelqu'un comme Erik Satie, c'est presque ne pas jouer du piano, ce qu'il faisait.
Cela signifie quand même que tu veux toujours créer de nouveau sons, même avec un instrument simple… comme Eno par exemple.
Richard : Oui, absolument, c'est cela mon objectif !
Est-ce qu'on peut dire que cet album est une petite respiration entre les activités d'enregistrement et les tournées avec vos groupes respectifs, qui pourra vous donner ensuite une approche plus fraiche avec ceux -ci ?
Steve : Hum, en fait, c'est venu du fait que j'avais vraiment envie de le faire. Nous avions décidé de le faire il y a au moins deux ans, mais je n'ai pas pu le faire avant. Mais vraiment si je n'avais pas pris le temps de le faire, cela m'aurait fait mal de penser en étant plus vieux que j'avais laissé passer cette occasion. Je savais que quelque chose de spécial en sortirait, même si ce n'était qu'une seule chanson.
L'année dernière en août (2011), j'ai eu un mois de tranquillité, j'étais tout seul à la maison et je me suis mis dans mon grenier dans mon petit studio personnel, et pendant un mois j'ai chanté, j'ai commencé à travailler sur la musique que Richard m'avait envoyé sur déjà une longue période, environ deux ans. Et ce processus m'a permis de m'immerger complètement dans la musique de Richard, cela m'a semblé facile, je me sentais inspiré. Je lui ai envoyé par Internet quelques morceaux finis que j'avais plus ou moins mixé et je croisais les doigts, je me demandais "peut-être qu'il va détester ça, ou encore ça" des idées comme ça (rires).
La plupart des parties vocales n'ont donc pas été faites au milieu de tournées avec Marillion. Par contre, la plupart des voix de "love will set you free" (Ndr : le morceau le plus long) ont été enregistrées dans une chambre d'hôtel à Montréal, où je m'étais déplacé trois jours avant un concert avec Marillion, pour ne pas souffrir du décalage horaire. C'était un luxe pour moi, qui suis père d'un petit garçon de trois ans, et pendant ce laps de temps où j'ai été tranquille, seul dans cette chambre d'hôtel, j'ai là-aussi travaillé sereinement.
[IMAGE2]
Steve, tu disais que ce disque est une indication de ce vers quoi tu pourrais tendre dans le futur en tant que compositeur. Est-il possible que cette collaboration puisse influencer votre travail avec vos groupes respectifs, à l'avenir ?
Richard : Hum, en fait, c'est assez différent de ce que nous faisons avec nos groupes respectifs, le contexte lui-même est assez différent. Donc je ne suis pas sûr que ce soit quelque chose dont on puisse ressentir l'influence dans le futur. En fait, il n'y a rien sur cet album que je ne fasse pas déjà de mon côté sur le plan sonore : je vois bien la relation avec mes albums solo, et si on analyse ce que je fais, moi, pour Porcupine Tree, on entend des choses similaires… Il n'y a pas de changement énorme.
Steve : De mon côté, par contre, il y a une possibilité de gros changement. Ce que j'ai appris en travaillant de cette façon, est que si je suis laissé complètement seul, je veux dire sans même un ingénieur du son, je peux créer des choses assez différentes de ce que nous faisons d'habitude en studio avec Marillion. Je me sens plus libre, je ne me sens pas contraint par l'opinion de qui que ce soit autour de moi. Et c'est moi qui ai placé les effets, pas un ingénieur du son. Je n'ai pas à lui expliquer ce que j'ai en tête comme effet. Et de plus, je peux aller plus rapidement.
Et tu penses que le reste du groupe sera d'accord avec cette nouvelle façon de travailler ?
Steve : Oh, oui, je pense. Il n'est pas question qu'ils aiment forcément ce disque ou ce que je pourrais leur proposer par la suite que j'aie fait de cette façon, mais ils n'ont pas d'objection sur la méthode de travail. Du moment que le résultat leur plaît, ils n'ont pas de préjugés sur la façon de travailler.
Richard : Et s'ils n'aiment pas, ce n'est pas pareil que si vous êtes là dans le studio en train de jouer quelque chose qui ne leur plaît pas…. Tu vois ce que je veux dire ? Ce n'est pas tout à fait pareil. Et puis ils peuvent aimer certains aspects de ce que vous proposez, alors que vous n'auriez jamais développé votre idée aussi loin si vous n'aviez pas pu enregistrer seul dans votre coin.
Steve : Je pense qu'à l'avenir, je dirai parfois à Mike (Ndr : leur ingénieur du son) que si ça ne le dérange pas, je prendrai quelques musiques pour les développer à la maison. Ce qui ne veut pas dire que l'on ne peut pas bosser aussi ensemble sur un morceau.
Oui vous êtes célèbres pour jammer ensemble en studio et vous disiez même à un moment que votre ingénieur du son Dave Meegan était le sixième membre de Marillion. Je crois que c'est pareil avec Mike Hunter... Mais pour votre album solo, "Ice cream genius", il y a déjà 14 ans vous n'aviez pas pu travailler seul aussi, déjà à ce moment ?
Steve : Tout à fait, avec Marillion, nous jammons en studio et notre ingénieur du son passe en revue tout ce que nous jouons et nous signale ce qui lui semble intéressant. C'est effectivement notre façon de travailler. Pour "Ice cream genius", la méthode a été sensiblement différente, j'avais Craig Leon comme producteur et il avait une façon de travailler différente. De plus, j'avais déjà écrit les chansons avant d'entrer en studio, la grande majorité des morceaux étaient déjà écrits tout comme les arrangements. Je créais des démos à la maison avec un séquenceur à l'époque, il en reste un tout petit peu sur le disque d'ailleurs.
Justement parlons du futur, Steve demain tu joues un de tes concerts en solo à Paris, où on te voit seul devant ton clavier bien souvent. Vous n'avez pas envie de faire un duo ensemble dans cet esprit sur scène, toi et Richard ?
Richard : Oh, nous le ferons, nous y pensons en tout cas. Mais ce ne sera pas facile d'adapter la musique de ce disque, par contre. Il y a de multiples parties. Et je ne veux pas que nous jouions avec un ordinateur à côté de nous, qu'il y ait des tonnes de parties pré-enregistrées. Et en termes de claviers, il y a beaucoup de choses aussi, beaucoup de changements de sons. Parfois j'ai cinq ou six claviers en même temps.
Steve : Oh, oui, j'ai fait des tas de couches de vocaux par exemple, le plus souvent. Ce qui est bien en live c'est justement de pouvoir dire : "Allez, on ne sait pas ce qui va se passer".
Oui, c'est ce qui est intéressant avec votre album, c'est qu'on peut l'écouter à deux niveaux… Il ne semble pas si complexe que cela, ce n'est pas comme Queen par exemple, avec 40 ou 60 lignes de chant réenregistrées pour faire ces chœurs énormes mais pourtant si on écoute attentivement au casque par exemple, les arrangements sont subtilement élaborés..
Richard : En effet, je suis passé à travers tout le processus, j'ai participé au mixage, je sais le nombre d'overdubs qu'il y a... Et cela ne semble pas très chargé mais y a un certain nombre de sons très particuliers, qui doivent être précisément réglés. Et puis il faut se rappeler que cet album n'a pas été composé et arrangé de manière très conventionnelle. Je n'ai pas travaillé en jouant ces morceaux au piano par exemple.
Steve : J'ai encore découvert des choses en le réécoutant, il y a quelques jours, une partie de percussion que je n'avais pas remarquée auparavant par exemple, sur "Your beautiful face" par exemple mais pourtant elle y était depuis le début ! Tiens, ce morceau par exemple j'aurais du mal à m'asseoir au piano et à jouer et chanter cette chanson.
Et qu'attendez vous de ce disque ?
Steve : On aurait pu le sortir et le vendre grâce à notre site web par exemple. Je pense même que notre groupe de fans l'aurait acheté massivement et on aurait même pu gagner plus en faisant de cette manière. Mais nous n'avons pas fait ce disque pour faire de l'argent. On veut qu'il y ait une chance de faire entendre ce disque à un public large si possible et c'est pourquoi nous avons signé ce contrat avec K-Scope. J'aime à penser qu'il y aura peut-être des gens qui achèteront l'album en ne sachant pas qui nous sommes…
Quelle est la question qui vous a été trop souvent posée lors de ces interviews ?
Steve : Hum... Si on allait jouer live. Tout le monde veut savoir ça. Et c'est difficile d'y répondre. Parce que, comme l'a dit Richard, il faut vraiment repenser l'album pour savoir comment le jouer en concert. C'est une gageure. Et puis il faut trouver le temps… Je vais aussi être assez occupé cette année avec Marillion.
Ceci dit, j'ai vraiment envie de faire face à un public avec cette musique. Et c'est un peu frustrant pour moi en ce moment de ne pas savoir quand je vais trouver le temps de travailler là-dessus.
Steve, est-il possible que tu enregistres un autre album solo dans un futur proche, avec, peut-être avec Richard et cette fois ce serait toi qui apporterait les idées musicales de base ? Avez-vous beaucoup d'idées qui sont rejetées par le groupe au fait ?
Steve : Oui, c'est possible. Tout dépend de l'inspiration. Il faut que je rassemble assez de matériel. Oui j'ai des choses que j'avais proposées à Marillion et qui n'ont pas été retenues, mais je les oublie assez vite… Hum, oui, je devrais aller fouiller un peu, mais il n'y en a pas tant que ça. Je n'ai pas tellement composé ces dernières années. J'ai pas mal de textes oui, mais pas tellement de musique. Mais si on me laisse complètement seul pendant un mois, qui sait ? Mais disons que, pour le moment, je n'en ressens pas particulièrement le besoin.
Au fait, en parlant de paroles de chansons, était-ce facile ou pas de trouver des paroles pour les apposer sur les musiques de Richard sur "Not The Weapon…" ?
Steve : Ah ! Cela a été plus que facile… Cela m'a même choqué que ce soit facile à ce point. Je savais que je n'avais pas trop de temps pour travailler sur ce disque en juillet dernier. Mais au bout d'une semaine, j'avais déjà environ cinq de ces chansons.
Certains textes sont assez simples, comme sur "Red kite", d'autres nettement moins… Et puis il y a aussi des thèmes accrocheurs, comme "Only love will set you free"
Steve : Oui, "Only love" est un peu comme une chanson pop.
Richard : Absolument, ce morceau a un peu de tout mais c'est accrocheur. Et en même temps, c'est le morceau peut-être le plus progressif au sens strict du disque. Il y a pas mal de sections, il se passe pas mal de choses. C'est ce que l'on peut appeler un "epic" et en même temps c'est accrocheur - sauf qu'il faut très longtemps pour arriver au refrain (Rires) !
Richard, as-tu quelques opinions à propos des textes, as-tu demandé à Steve de changer certaines choses ?
Richard : Non... Rien du tout. J'ai tout gardé. Déjà, j'adore sa voix et ses paroles, en général. Il n'y a rien que j'aie eu envie de changer. Et puis tout est différent d'un morceau à l'autre. Par exemple, pour "Only love", la voix de Steve a complètement pris le pas sur tout le morceau, mais ce n'est pas une mauvaise chose. Il se passait plein de choses dans le morceau mais il manquait vraiment quelque chose et Steve en a fait un tout cohérent. Pour "Lifting the lid", le morceau à mon avis était déjà assez développé, mais il a réussi à apporter une contribution délicate. Vous savez, je suis assez peu sûr de moi et pour un artiste, c'est un peu effrayant d'envoyer son travail à un autre artiste et de se demander s'il va aimer ou pas. C'est un peu comme d'attendre chez le dentiste (Rires) !
[IMAGE3]
En gros, c'est complètement différent de la façon dont tu travailles avec Steven Wilson dans Porcupine Tree, je suppose !
Richard : Hum… oui, c'est différent. Mais nous avons deux façons de travailler. Parfois, Steven travaille seul ou nous apporte des morceaux déjà complètement bâtis mais nous travaillons aussi tous ensemble en studio sur des idées communes et je trouve que c'est le meilleur côté de Porcupine Tree. Enfin, c'est ce qui est le plus intéressant pour moi. Par contre, je dois admettre que les chansons qu'il compose seul sont souvent meilleures. C'est pareil avec la plupart des auteurs/compositeurs. Je dirais que Steven est un super compositeur de chansons mais en tant que musicien, qu'instrumentiste, il n'est pas si original que ça. Je veux dire que s'il jouait sur le disque de quelqu'un d'autre, il y a de grandes chances que je ne le reconnaisse pas. Tandis que de mon côté, je ne suis pas un auteur/compositeur comme lui mais je pense que je suis relativement original, que l'on peut reconnaître mon style. Dans le groupe, nous essayons par contre de tirer le meilleur parti de ses chansons.
Je me rappelle que Steven Wilson disait dans une interview que si les autres membres de Porcupine Tree trouvaient une de ses idées trop heavy, il laissait tomber le morceau. C'était au moment où vous avez commencé à introduire de plus en plus d'éléments de metal, parfois de metal extrême, dans votre musique, je dirais vers "In Absentia". Et les deux suivants ont été encore plus heavy, alors que "The incident" l'est moins. Mais très honnêtement, je me dis parfois que l'on t’entend de moins en moins dans le groupe, et que tu dois parfois t’ennuyer…
Richard : Hum, je vois ce que tu veux dire mais je ne suis pas convaincu lorsque les gens me disent cela. D'accord il y a des passages très puissants. Mais les gens retiennent cet aspect plus que le reste. Si tu analyses de près un album de Porcupine Tree, tu devrais remarquer qu'il y autant de passages "ambient", délicats, que de guitares heavy.
Steve : Je ne voudrais pas paraître grossier mais ne devions-nous pas aller déjeuner il y a déjà un bon moment (Sourire) ?!
C’est exact mais avant de vous laisser y aller, y-a-t-il quelque chose d'autre que vous ayez envie de dire à nos lecteurs ?
Steve : Oh, ma foi, je dirai juste que je suis très fier de cet album et particulièrement de certains morceaux, comme "Lifting the lid", parce que cela montre d'autres aspects de ce que je peux faire avec ma voix. Et puis, hum, je devrais aller manger au lieu de parler, mais bon… (Rires), je crois que ce qui est intéressant est que Richard et moi nous ne travaillons pas souvent ensemble, et nous n'avons pas de problème d'ego, etc. C'est très différent de ce qui peut se passer lorsque… Par exemple, je pense à ce à quoi vous faisiez allusion à propos de Porcupine Tree. C'est un luxe de travailler ensemble comme nous l'avons fait. Si on nous mettait tous les deux pendant cinq ans dans un studio et que l'on nous disait de pondre trois albums de plus, cela ne sera plus pareil, il n'y aurait plus cette fraîcheur...
Remerciements à Roger de Replica qui a organisé cet entretien réunissant les équipes de Koid'9 et MusicWaves ainsi que Tonyb et Arnaud pour leur contribution...
Plus d'informations sur http://www.nottheweaponbutthehand.com/