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TITRE:

YACOUBA TRIO (10 AVRIL 2025)


TYPE:
INTERVIEWS
GENRE:

JAZZ



Ceux qui aiment David Jacob le bassise de Trust devraient adorer David Jacob le contrebassiste qui se livre dans son projet personnel Yacouba Trio...
STRUCK - 28.05.2025 -
8 photo(s) - (0) commentaire(s)

C'est dans les superbes locaux tout fraîchement livrés rue de Madrid de Covivio que nous avons rencontré David Jacob dont le nom parlera certainement aux fans de hard rock hexagonal. En effet, celui qui est charge de la basse de Trust depuis 1996 a décidé de se lancer dans la contrebasse en 2018, démarche qui se concrétise en 2025 avec la sortie de "Ouida Road" premier album de Yacouba Trio qu'il a fondé avec Hakim Molina et Nicolas Noel... Un projet personnel et intime dans lequel l'artiste protéiforme et touchant se livre (enfin !) comme jamais comme dans cette interview particulièrement sincère...





Quelle est la question qu’on t’a trop souvent posée et à laquelle tu aurais marre de répondre ?


David Jacob : Sincèrement, il n'y a aucune question qui me saoule hormis le fait que j'ai fait une émission il y a peu de temps où on n'a absolument pas parlé de mon projet, on m'a parlé que de Trust, on a diffusé que des images de Trust…


Bon et bien dans ces conditions, je n’ai plus de questions à te poser non plus…

(Rires) ! Non mais attention, Trust fait partie de mon histoire.


Et ça justifie en partie la raison pour laquelle nous sommes ici en face de toi…

J'en suis super conscient et c'est vrai que Trust est une belle vitrine…


Je suis devenu bassiste par accident !


Justement, après une carrière marquante avec Trust, qu'est-ce qui t’a motivé à explorer le jazz et à apprendre la contrebasse en 2018 ?

J'ai toujours été hyper curieux. Mon premier instrument n'est pas la basse mais la trompette. J'ai commencé tout petit au conservatoire du Havre et ensuite de Rouen. Je suis devenu bassiste par accident !


C’est mieux que par défaut !

(Rires) ! J'ai toujours joué de la guitare. Il a un groupe qui m'a appelé, je pensais que j'allais jouer de la guitare et en fait, ils cherchaient un bassiste et c’est ainsi que j'ai commencé sur une basse qu’on m’avait prêtée et qui n’avait que trois cordes. J'ai eu un coup de cœur pour cet instrument et ensuite, j'ai vraiment commencé à travailler l'instrument…

Et concernant la contrebasse, j'avais toujours plus ou moins joué un petit peu de contrebasse mais sans vraiment m'attacher à un apprentissage sérieux comme j'avais pu apprendre la trompette ou la basse électrique. Il faut savoir que la contrebasse -même si elle a exactement le même rôle qu'une basse- techniquement, ça n'a plus rien à voir. Et le fait de jouer à l'archet, c'est quelque chose que je ne connaissais absolument pas -on joue rarement à l'archet sur une basse électrique. Je suis donc également passé à la contrebasse par accident parce que je suis ambassadeur d'une association qui s'appelle AuditionSolidarité qui équipe des indigents et qui fait des missions partout dans le monde pour équiper des jeunes sourds dans des écoles de sourds. J'étais au Conservatoire Supérieur de Musique à Paris en tant qu'ambassadeur et en voyant tous ces gamins qui apprenaient encore la musique, ça m’a donné envie de me remettre à nouveau dans des études de musique. A l'époque, j'habitais à Bezons, j'ai appelé le conservatoire de Bezons en demandant s’ils donnaient des cours de contrebasse. Il restait encore des places mais la date limite d’inscription était le lendemain. Le lendemain, j'y étais avec mon dossier et ça commencé comme ça.


Tu as un rapport avec l'instrument qui est complètement différent




Et à ce titre, comment s'est passé l'apprentissage ? Même si tu es un bassiste confirmé, quelles ont été les principales difficultés rencontrées lorsque tu as opté pour la contrebasse ?

Première chose, l'instrument par lui-même, en termes de transport, on n'est plus dans la même logistique (Rires) ! La deuxième chose, comme je te le disais, c'était l'apprentissage pour jouer à l’archet, toutes les techniques, l'instrument ne partent pas de la même façon… Tu as un rapport avec l'instrument qui est complètement différent -tu quand même dix kilos qui sont posés contre ton corps- mais avec aussi des sensations complètement différentes à savoir de pouvoir ressentir les vibrations. Tu sais qu'avec Trust, j'aime bien jouer pieds nus pour justement ressentir les vibrations qui viennent du sol et là en l'occurrence, les vibrations tu les as directement sur ton corps et c'est quelque chose que je ne connaissais absolument pas. Et je trouve ce genre de sensations vraiment incroyable !
Et puis, c'est un instrument quand même que je considère comme polyvalent dans la mesure où j'ai pu rejoindre l'orchestre symphonique de Cergy Pontoise -c'était mon rêve de pouvoir jouer dans un orchestre symphonique et c’est désormais chose faite- et c'est un instrument qui permet aussi de faire du jazz et c'est ce qui m'intéressait aussi, c'est d'aller sur un autre terrain où je me mettais en difficulté… Bernie (NdStruck : Bernie Bonvoisin, leader de Trust) dit souvent qu’il aime bien le fait qu'on puisse se mettre en danger et c'est une philosophie que j'aime bien également : le fait de se mettre en danger, de sortir de sa zone de confort !


En parlant de jazz, cet album qui nous réunit, "Ouida Road", fusionne le jazz des années 1960 avec des influences ethniques. Comme on peut le voir sur la pochette, un globe est représenté et une flèche pointe vers l'Afrique. Quelles cultures ou expériences personnelles ont le plus influencé ces compositions ?

Alors, y a plusieurs facteurs. "Ouida Road" n’est pas un titre anodin. "Ouida" sans "H" d'ailleurs reprend des lettres qui sont à la fois dans mon prénom et à la fois dans Daoud, mes potes m'appellent Daoud. Donc, c'est aussi mon chemin !
Concernant l’Afrique, j’ai pu aller en Afrique parce que j'ai eu la chance d'accompagner Geoffrey Oryema et un des premiers concerts était au Bénin. Je fais donc la route de Houida, je fais la route des esclaves, je vais jusqu’à la porte du non-retour, je suis forcément sensibilisé par le changement climatique -à savoir que les pêcheurs en remontant les filets sont désormais obligés de traverser la route parce que la plage n'est plus suffisamment grande avec la montée des eaux- et puis, cette rencontre avec les musiciens béninois qui me disent avoir le sentiment qu’on se connaît depuis tout petit, qu'on vient du même village… Pour la petite anecdote, mon frère -quelques années plus tard- fait ses tests ADN et me révèle qu’on est Béninois à 25% (Sourire) ! Et j’ai mieux compris pourquoi à l’époque, j’avais cette sensation -la première fois que je suis arrivé au Bénin en arrivant sur tarmac- d'être chez moi.

Mon père est Martiniquais. Et si le groupe s'appelle Yacouba Trio, c'est parce que je ne voulais pas l'appeler David Jacob Trio, je trouvais ça un peu pompeux. Donc, j'ai africanisé mon nom : Jacob est devenu Yacouba parce que mon nom Jacob est en vérité un nom d'esclave.
A la maison, j'ai toujours baigné dans la tradition antillaise : on a toujours écouté du compas… Mais j'écoutais aussi du rock, mon père me faisait écouter du rock : Status Quo, Dr. Feelgood, les Roadrunners, Little Bob, Fixed Up, les Dogs… J'ai toujours baigné dans cette culture rock'n'roll.


Quand tu montes un projet [...] il faut faire le bon casting


Tu as formé le Yacouba Trio avec deux vieux amis Nicolas Noël et Hakim Molina. Comment as-tu compris qu'il s'agissait de vos deux partenaires idéaux pour ce projet, et quelle a été quelle a été la dynamique lors de l'enregistrement de l'album ?

C’est très simple, quand tu montes un projet -surtout quand tu approches de la soixantaine comme moi- il faut faire le bon casting. J'ai déjà eu cette expérience de tournée, et tu sais que lorsque tu vas partir sur la route avec des garçons, autant que ça se passe bien humainement… musicalement, je dirais que c'est la cerise sur le gâteau (Sourire). Il s'avère que je suis toujours resté en contact avec ma région d'origine, la Normandie. Ce sont des musiciens normands avec qui j'avais déjà eu l'occasion de travailler.

Hakim Molina a un projet qui s'appelle le Molina Unit dans lequel je joue et qui est un projet plutôt rock que fusion. Je jouais de la basse au départ avec un super guitariste Philippe Figueira : c’était une musique très improvisée mais très électrique jusqu'au jour où il m'a dit que ça serait bien que je passe à la contrebasse sur ce projet, ce que j’ai fait (Sourire)…

Et puis avec Nicolas Noël, justement, on avait déjà un trio qui s'appelait HND -H pour Hakim, N pour Nicolas, D pour David- et qui était un projet jazz rock mais qui était vraiment orienté sur le jazz des années 1970 style Herbie Hancock.

Ça m'a donc paru naturel de travailler avec eux sachant qu’en plus, ils ont aussi une culture rock et c’est ce qui m'intéressait. Nicolas Noël, c'est le clavier de Little Bob depuis plus d'une vingtaine d'années par exemple…


Le premier morceau 'Why Tea' est lumineux avec un piano dynamique, le son rond de la contrebasse et la batterie leste. En somme est-ce un sommaire de ce que nous allons entendre dans cet album, et est-ce que cela justifie sa position en tant que première piste ?

Le choix de placer ce titre en premier est venu assez naturellement. Il s'appelle 'Why Tea' mais si on devait l'orthographier phonétiquement, ça serait un Y et un T et ce sont les initiales d’Yves Torchinsky qui a été mon professeur de contrebasse, mon maître et maintenant mon ami… C'est un morceau en hommage à Yves !


Yves Torchinsky m'a encouragé à faire ce que j'aimais faire et pas de faire comme les autres.




Comme tu l’as dit, ce morceau rend hommage à Yves Torchinsky. Quelle a été son influence sur ton parcours musical et comment cela se reflète-t-il dans ce morceau ?

Écoute, c'est un musicien incroyable qui connaît à la fois le classique et le jazz. C'est bassiste au départ mais c’est aussi un excellent guitariste. Il m'a encouragé à faire ce que j'aimais faire et pas de faire comme les autres. Il m'a conseillé d'écouter certains contrebassistes que je ne connaissais que de nom et dont je n'avais pas exploré l’univers comme Charlie Haden par exemple. Il m'a fait écouter des choses incroyables : des duos piano / contrebasse…
Et son approche harmonique de la contrebasse c’est-à-dire de faire des choses simples mais efficaces. Et dans le travail du son… C'est vraiment un maître, il ne faut pas oublier que c’est un des cofondateurs de l'Orchestre de Contrebasse qui a une réputation mondiale. C'est une rencontre incroyable, humainement, ce grand bonhomme est incroyable…


Tu en as parlé, le morceau ‘Ouida Road’, plus agité, un peu plus pesant et mélancolique à juste titre, fait référence à tes origines béninoises en évoquant la route des esclaves sur les rives béninoises du Golfe de Guinée. Peux-tu nous en dire plus sur cette connexion personnelle, ce rappel d'une histoire assez tragique et son impact sur la composition ?

C'est bien, je vois que tu as effectivement écouté ce morceau parce qu’à un moment, il bascule et on se retrouve à la Nouvelle-Orléans et c'est ce qui m'intéressait… Par exemple, le triangle sur ce logo représente le triangle du commerce triangulaire que je souhaitais évoquer : cette connexion entre les Caraïbes/ la Nouvelle-Orléans, l'Europe évidemment et l'Afrique à l'origine. Je représente tout ça. Je ne dirais pas que je suis un déraciné, mais un arbre pour bien grandir a besoin de bonnes racines…


J'ai pu ancrer mes racines


Et désormais dirais-tu qu’avec les expériences que tu nous as décrites -ton voyage en Afrique, le fait d’apprendre que tu étais en partie Béninois...- tu grandis mieux ?

Je grandis mieux. J'ai pu ancrer mes racines : j'ai eu la chance de pouvoir aller au Caraïbes, j'ai eu la chance d'aller en Afrique et je pense que je connais bien l'Europe, je connais particulièrement bien la France pour l’avoir sillonnée plus d'une fois (Sourire). Effectivement tout cela se reflète dans les titres. Et ça vient de façon très naturelle, très spontanée. Les titres sont très inspirés et je me laisse porter.


Dans cette idée, ‘Sunday Market’ évoque le marché dominical en Normandie. Quelle importance ce lieu a-t-il pour toi et comment l'as-tu traduit musicalement ?

Je pense que je l'ai traduit après un apéro bien arrosé (Sourire). J'ai la chance d'avoir une maison en Normandie à côté de Luneray qui a un des marchés les plus sympathiques dans le sens où ce ne sont que des producteurs locaux entre mer et terre c'est-à-dire d'avoir toujours des bons produits de la mer et de la terre…

On parlait d'intégration et je me suis très vite intégré dans ce petit village. On a pour coutume avec les copains le dimanche après avoir fait notre marché de se retrouver dans un petit bar qui s'appelle Le 18, chacun ramène quelque chose et on se fait un petit apéro… Et un dimanche en rentrant à la maison -j'ai toujours une contrebasse en Normandie aussi- ce riff est arrivé, un riff inspiré avec une mesure un peu bizarre mais je trouve ce titre festif, il est très sympa.


Je ne pense pas faire un jazz trop cérébral, il est plutôt mainstream




On peut ressentir une influence de Dave Brubeck -notamment dans le jeu de piano et la contrebasse métronomique- sur 'Hell Heaven Blues' qui possède d'ailleurs un joli crescendo. Est-ce que son travail est une référence pour toi ?


On ne peut pas passer à côté de Dave Brubeck, sincèrement ! ‘Take Five’ est un hymne mondial, tout monde le connaît quels que soient nos goûts musicaux.
Dave Brubeck oui mais pourquoi Dave Brubeck ? Parce que justement ce sont des mesures à cinq temps comme ‘Take Five’ et ce titre 'Hell Heaven Blues' est un jeu de mots, c'est un morceau en onze temps (c'est un 11/8). Et il faut compter jusqu'à onze pour jouer le thème. Et j'avais ce riff dans la tête depuis très longtemps, il fallait que ça sorte et elle ramène cette couleur bluesy.

Mais je peux t'assurer que Nicolas en a chié au piano pour jouer le thème au départ (Sourire). Mais c'est vrai qu'à l'écoute, il a ce côté un peu déstructuré mais en même temps, j'aime bien ce côté aussi où c'est liquide. Je ne pense pas faire un jazz trop cérébral, il est plutôt mainstream parce que ma philosophie par rapport à ça, c'est de me dire que le jazz -tel qu'on me l'a enseigné et tel que je l'ai étudié- reste une musique populaire et accessible…

Et il arrive souvent que des gens qui me suivent depuis des années et qui écoutent du hard rock et qui ne sont donc pas forcément des férus de jazz me disent que même s’ils n’ont pas l'habitude d'écouter du jazz, ils se sentent bien en écoutant ma musique, ils peuvent retenir les mélodies et avoir des images. Ma musique est très imagée.


Le titre ‘Lily’ apporte un aspect romantique. Peux-tu nous révéler qui est cette mystérieuse créature ?


Lily est ma compagne depuis plusieurs années. Elle est passée par des phases difficiles avec la maladie. Et ce titre est très inspiré, j'ai dû le composer en un quart d'heure. On était dans notre maison en Normandie, l'ambulance venait la chercher et j'ai eu cette réflexion de me demander : et si elle n’était plus là demain ?... C'est très intime, ce que je raconte…


J’imagine… Malgré tout deux questions se posent : comment va-t-elle aujourd'hui ?


Elle va très bien mais le combat continue…


Et comment a-t-elle accueilli cette chanson ?

Ça l'a touché, évidemment ! D'autant plus qu'une fois que j'avais fini de composer la mélodie au piano, je lui ai envoyée alors qu'elle était sur un lit d’hôpital.
Il y a des titres comme ça… Pour le dernier album de Bernie "Amo et Odi", j’ai écrit le titre ‘A s'en ouvrir les veines’ qui m’est également venu très vite. Je savais que c'était pour lui. Et sur le prochain album, il a un titre que j'ai composé pour ma mère : tu te mets derrière le piano, tu ne sais pas pourquoi...


Le prochain album de Yacouba Trio est déjà prêt !


Sur le prochain album ?

Oui, parce que le prochain album de Yacouba Trio est déjà prêt ! Aujourd’hui, sur scène on joue les titres de cet album mais également les prochaines compos, ça nous permet de les roder…


Comment abordes-tu la création de nouvelles œuvres ? Y a-t-il des thèmes ou des messages que tu souhaitais particulièrement transmettre à travers ta musique ? Est-ce que d'autres médias comme la littérature et le cinéma ont pu t’influencer ici ?

Bien sûr ! Je lis beaucoup. J’aime beaucoup la philosophie. Et puis, j'aime l'Histoire. J'aime les grands classiques de Victor Hugo…

Mais c'est bien que tu m'en parles parce que je viens de finir le livre de Frederick Douglass qui est un premier roman d'un homme noir, premier roman autobiographique où il parle de l'esclavage évidemment jusqu'à ce qu'il soit affranchi, et il est devenu un grand politicien par la suite, qui a milité évidemment pour l'abolition de l'esclavage -tout comme Victor Hugo d'ailleurs- ce sont de grands abolitionnistes. C'est très fort à l'époque aussi, il était marié avec une femme blanche et les couples mixtes à l'époque, c'était compliqué, autant pour lui que pour elle surtout… Et sur le prochain album, il a un morceau qui s'appelle ‘Valse for Douglass’ parce qu'il est mort dans les bras de sa femme et je les ai imaginés tous les deux en train de danser une valse. Et ça s'appelle ‘Valse for Douglass’ et pas ‘Valse for Frederick’ parce que j'ai pensé aux deux justement…


J'ai fait le choix d'une musique très acoustique en trio [...] et puis de ramener le jazz à sa dimension populaire




Quelles attentes as-tu quant à la réception de "Ouida Road" par le public, la critique mais aussi les fans de Trust, notamment en France et à l'international ?

Je pense que comme tout artiste qui sort un album, tu as envie qu'il y ait un bon accueil. Le public de Trust est un super public. On a toujours eu cette chance d'avoir un public adorable. Je pense avoir toujours été très accessible avec le public, avoir toujours été très proche d’eux et il me le rend bien. C'est la même chose avec la presse, avec les gens avec qui j'ai eu la chance de travailler. Je ne suis pas inquiet en ce qui concerne l'accueil en général. Après, on parle de musique, c'est très subjectif la musique : on ne peut pas plaire à tout le monde. Mais ma démarche, je pense qu'elle est honnête, elle est sincère. Je n'ai pas fait un album racoleur et en plus, je vais sur un terrain qui n'est pas forcément le terrain le plus commercial : ça reste une aventure pour moi ! Je me réinvente et je vais certainement faire d'autres choses. J'ai envie d'explorer d'autres univers !

Mais il faut quand même être conscient qu'aujourd'hui, on est saturé de musique. On est passé de la musique amplifiée à une musique plutôt électro -aujourd'hui je vois des projets où il n'y a plus de bassiste où les basses sont jouées au synthé, ça ne me déplaît pas, je trouve ça très sympa.
De mon côté, j'ai fait le choix d'une musique très acoustique en trio -et le trio est vraiment une prise de risque- et puis de ramener le jazz à sa dimension populaire… Et je vois qu'il y a une saturation des gens qui écoutent du jazz qui se disent que les sorties actuelles sont trop modernes et ont envie de revenir sur des fondamentaux.


Est-ce que ce n'est pas le maître-mot de cet album, à savoir une quête musicale qui fait écho à ta quête personnelle pour retrouver les racines ?


Tout simplement ! Et surtout aussi de ne pas péter plus haut que mon cul, c'est-à-dire de faire ce que je savais faire tout en essayant parfois me dépasser techniquement… Composer comme je l'ai fait, je n'avais jamais vécu ça parce que ça a été très vite. J'avais d'abord fait quatre titres en maquette pour une UV que je devais présenter en tant que projet personnel au Conservatoire. J’ai composé ces quatre titres que j'ai soumis à mes deux petits camarades, on les a maquettés. Je les ai envoyés à un label qui m'a rappelé quinze jours après pour me dire qu’il me signait. Je les ai également envoyés à une association en Seine Maritime qui s'appelle Jazz en Seine qui me rappelle pour me dire qu’ils m’ont booké une date en février alors que je n’avais que quatre titres.


Et comment expliques-tu de telles réactions enthousiastes ?

Je me dis que ce que je leur propose les séduit. Il faut reconnaître que ce qui intéressait le label était ma démarche Zappaïiste. Et c'est vrai que lorsqu'on s'intéresse à Zappa -qu’on voit ce qu'il a pu faire musicalement- est de voir à quel point il était ouvert musicalement…


J'aime justement me considérer comme étant un artisan de la musique : un mec qui essaie des trucs, qui se plante mais qui n’aura pas de regret parce qu’il y aura essayé de le faire.


Parfois trop…

(Rires) Oui mais il a essayé, il a fait des trucs, il s'est remis en question, il a essayé des choses. C'était un artisan de la musique et j'aime justement me considérer comme étant un artisan de la musique : un mec qui essaie des trucs, qui se plante mais qui n’aura pas de regret parce qu’il y aura essayé de le faire.


Si tu pouvais faire écouter “Ouida Road” à l’enfant que tu étais, celui qui apprenait la trompette au Havre, qu’aimerais-tu qu’il entende ou ressente ?

Wahou ! C'est la première fois qu'on me pose cette question. Ce gamin te dirait : "C'est cool, il n'y a pas de trompette !". Parce que ce n'est pas forcément l'instrument que je voulais faire au départ. J'ai fait de la trompette parce que mon père voulait que je fasse de la guitare : j'étais déjà dans la rébellion…
Ensuite, ce gamin il te dirait : "Wahou quel chemin parcouru !". Je me vois encore avec ma trompette aller jusqu'au Conservatoire, traverser le tunnel Jenner qui un tunnel qui relie la ville haute à la ville basse du Havre. Et j'étais au milieu de toutes ces bagnoles qui passaient (Rires) ! Et surtout ne pas se frotter contre la paroi sinon tu étais dégueulasse…


Je suis sorti du tunnel !



J’imagine bien les images qui doivent traverser ton esprit quand tu évoques ces souvenirs…

Bien sûr ! Et aujourd’hui, se dire que je suis sorti du tunnel !
On m'a souvent sollicité pour que je fasse un projet personnel et je ne l'ai jamais fait parce que je savais que c'était une grosse prise de risque et c'était se mettre énormément en danger. J'ai toujours été admiratif de ceux qui entreprenaient… J’ai rejoint Trust alors que le groupe était créé depuis bien longtemps. J'ai accompagné des artistes et j'ai toujours été admiratif des gens qui composaient, qui écrivaient et qui montaient sur scène pour défendre leur projet. Quand tu es sideman, tu te dis que c'est couillu ! Maintenant que je l’ai fait, ce gamin te dirait : "Ca y est ! Enfin tu l'as fait et il était temps !" (Sourire).


Je suis un éternel apprenti !




Tu évoquais ce sideman qui est passé de l’autre côté en devenant un artiste complet. As-tu mal vécu ce manque de reconnaissance ?

Je ne cours pas après la reconnaissance. Dire que je n’étais qu'un sideman, c'est faux parce que quand tu rejoins un groupe comme Trust, c'est un groupe et c'est l'expérience de groupe qui m'intéresse. C'est toujours ce qui m'a intéressé et ça a toujours été ma démarche. J'ai accompagné certains artistes parce qu'il fallait bouffer aussi et je n'ai pas forcément accompagné des gens avec qui j'avais foncièrement des affinités artistiques. Mais Dieu merci, ça ne s'est pas produit souvent. Mais j'ai eu des belles expériences aussi lorsqu'un réalisateur t'appelle et te demande de jouer de la basse : ça m'a permis par exemple de rencontrer La Grande Sophie et de jouer sur son album "Le Porte-Bonheur", de rencontrer Phil Délire qui nous a quittés il y a peu de temps et qui était un grand réalisateur pour Alain Bashung notamment… Tout ça m'a permis de faire des rencontres et de continuer à apprendre : je suis un éternel apprenti ! J'aime bien apprendre et j'espère que jusqu'au bout, je continuerai à apprendre. Pourquoi pas apprendre un nouvel instrument : c'est quelque chose qui pourrait me séduire.


Un instrument comme lequel ? La batterie ?

Je joue déjà de la batterie, du piano… Non plutôt aller vers un instrument traditionnel.


Justement, Ludovic Louis intervient au bugle sur ‘LH’. Comment cette collaboration est-elle née et quelle dimension apporte-t-il au morceau ? A l'avenir, tenterais-tu de nouvelles approches avec d'autres instruments un peu plus originaux ?


J'ai vraiment envie d'aller vers des expériences ethniques, de jouer avec des musiciens iraniens, des musiciens éthiopiens -j'aime beaucoup la musique éthiopienne.

Pour revenir à ta question sur Ludovic Louis, c’est également une histoire qui est troublante parce que Ludovic Louis aujourd'hui fait une carrière incroyable -il est trompettiste avec Lenny Kravitz, il sort son deuxième album je crois… Il est entre Los Angeles et la France. Il est d'origine caribéenne aussi, et du Havre. Quand j'étais gamin et que j'habitais au Havre, ses grands-parents habitaient l'étage au-dessus. J'ai donc connu sa mère enceinte de Ludovic, j'ai connu sa mère rencontrant son papa… Sa famille est très proche de la mienne. Et un jour, je voulais vraiment créer un titre sur le Havre.

D’ailleurs, si on doit parler de ma façon de composer, je travaille beaucoup avec le dictaphone sur mon portable et je chante des riffs, je chante des choses qui me viennent comme ça. D’autres fois, je me retrouve derrière le piano ou derrière la contrebasse et les choses viennent… C'était le cas pour le titre ‘Station Stalingrad’ par exemple qui a été composé à la contrebasse au départ….

Cet album effectivement ça me raconte beaucoup !


… A la station Stalingrad justement…

Non pas la station Stalingrad mais il s'appelle ‘Station Stalingrad’ parce que c'est là où j'ai attendu une heure avant mon premier rencart avec Lily… dans le froid (Sourire)...

Et pour en revenir à ‘LH’, j'avais cette idée du Havre, ce riff que j'ai eu -ça devait être un dimanche parce que j'étais en terrasse au 18 à Luneray (Rires)- et d'un seul coup, j'ai eu cette idée que j'ai chanté. Le thème est arrivé aussitôt après. Et comme je souhaitais avoir un invité sur cet album, je me suis dit que ce serait Ludo et ainsi, la boucle est bouclée. Le titre s'appelle ‘LH’ pour le Havre avec Ludovic Louis… Ce ne sont que de jolies coïncidences en vérité ! Mais c’est vrai, cet album effectivement ça me raconte beaucoup !


Si je fais de la musique c'est parce que je dis avec des notes ce que je ne pourrais pas dire avec des mots.


Et on le ressent. Et afin de boucler également la boucle de cette interview, on a commencé l’interview par la question qu’on t’a trop souvent posée au contraire quelle est celle que tu souhaiterais que je te pose ou à laquelle tu rêverais de répondre ?

(Rires) ! C'est une bonne question ! En fait, je t’ai parlé de choses… C'est la première fois par exemple que je parle de Lily comme je t'en ai parlé. C’est également la première fois que j'ai le sentiment que les titres ont été écoutés, que tu as ressenti des choses aussi.
Si je fais de la musique c'est parce que je dis avec des notes ce que je ne pourrais pas dire avec des mots.


Mais tu le fais très bien avec des mots…


Oui, je le fais bien parce que je me sens à l'aise, je me sens en confiance et que je n’ai pas affaire à des tocards… Mais voilà, en vérité, c'est un album où j'ai mis tout ce que j'avais à y mettre mais à partir de maintenant, cette histoire ne m'appartient plus… Ce qu'il y a dedans m'appartient mais l'histoire par elle-même, ce qu’il va devenir ne m'appartient plus.


Tu dis que ta musique a dit avant toi ce que tu voulais exprimer…

C'est ça, et c'est ça qui me touche dans ce qu'on est en train de partager, c'est que là j'ai en face de moi quelqu'un qui arrive à me comprendre au travers cet album...





Es-tu fier d’être arrivé à ce qui est l’objectif de tout musicien ?

Bien sûr que je suis content de ça ! Evidemment, parce que c'est ce que j'ai voulu faire…


Et tu dois être également fier de constater que ton concert de ce soir est complet et que plein d’autres personnes auront compris cet album…

J'espère, c'est ce que j'attends…


Merci et à bientôt pour le deuxième album…

Merci à toi, tu as mis le doigt sur deux/ trois trucs pendant cette interview, c'était très touchant… Merci !


Et merci à Calgepo et Adrianstork pour leur contribution...



Plus d'informations sur https://www.facebook.com/profile.php?id=61562792296203
 
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