Le précédent effort "Spiritual Instinct" -enfanté dans la douleur- fermait une page de la vie d'Alcest. Après une pause salvatrice, le nouvel album "Les Chants de l'Aurore" ouvre un nouveau chapitre plus positif en revenant aux racines spirituelles du groupe et de son leader, l'enfant de la lune, Neige...
Ça fait vraiment du bien de pouvoir s'arrêter sans culpabiliser
On s'était vus il y a cinq ans pour la promotion de "Spiritual Instinct". Aujourd'hui, on se revoit pour "Les Chants de l'Aurore". Comment expliques-tu ce long délai inhabituel pour Alcest qui a l'habitude de faire des sorties plutôt rapprochées ?
Neige : Oui, en général il se passe à peu près trois ans entre chaque album et celui-ci a pris cinq ans… Il y a eu le Covid, un petit
burn-out aussi. Je pense qu'on a un petit peu tiré sur la corde sur la fin parce qu'on a tourné énormément pendant dix ans à peu près.
Quand le Covid est arrivé, c'était un événement dramatique d'un certain côté, forcément, mais d’un autre côté, ça a permis aux gens d’avoir une espèce de pause forcée. Le monde s'arrête, pour tout le monde. Du coup, il n'y a pas la culpabilité du fait que je prends la décision de partir en vacances ou de faire un
break. On est un petit peu tous dans le même bateau. Et ça fait vraiment du bien de pouvoir s'arrêter sans culpabiliser.
Tu dis donc que cet événement tragique a plutôt bénéfique dans le sens où lorsqu'on s'était vus, tu m’avais avoué qu'Alcest te prenait beaucoup trop de temps. Tu disais, je cite "C’est terrible ! J'ai très peu de vie en dehors d'Alcest". Quelque part ce Covid t'a permis de recharger tes accus et peut-être derrière aussi d'avoir une nouvelle philosophie. En d’autres mots, as-tu tiré des conclusions ?
Oui, carrément. Par exemple, j'accorde plus de temps à des activités extra-musicales. Donc, sans forcément rentrer dans les détails : je suis passionné par la culture japonaise, donc je me suis mis au japonais. Ça fait quelques années que j'en fais mais je n'ai aucun talent particulier pour ça…
Ça veut dire que tu peux faire une journée promo en japonais ?
Non, je n'ai pas le niveau, pas encore. Malheureusement…
Tu es donc bon pour passer cinquante jours d’affilé sur Duolingo...
Non, je n’ai pas Duolingo (Sourire) ! Non, parce que j'essaie aussi de passer du temps en dehors des écrans, des téléphones, donc je suis vraiment en mode cahier.
Même pas les mangas ?
Non, je n'ai pas encore le niveau. Enfin, les séries oui, avec les sous-titres et tout.
Mais voilà, ça m'a fait du bien de prendre du temps pour faire autre chose parce que quand on est vraiment bloqué sur une activité en boucle comme ça -comme j'ai pu l'être avec Alcest, où il n'y avait rien d'autre que ça dans ma vie -, ça en devenait contreproductif parce qu'on a trop la tête dans le guidon. Et cet évènement m’a permis de faire un petit
reset et savoir ce que je voulais exprimer avec ce projet, qu'est-ce qui compte le plus… "Spiritual Instinct" est un album qui a été super important pour nous, ça nous a permis de tourner dans le monde entier, de faire des super concerts et tout, mais c'est un album très sombre. Je ne dirai pas que ce n’est pas du Alcest mais c'était beaucoup plus sombre.
Tu nous avais également avoué en promo pour cet album que le fait de composer cet album "était la pire épreuve de ta vie"…
C’était très cathartique en effet…
J'avais besoin de revenir aux toutes premières inspirations du groupe, beaucoup plus spirituelles, beaucoup plus positives aussi.
… Peut-on en conclure que tu as fermé un chapitre et l'épisode Covid t’a permis d’accélérer ce processus pour partir sur une nouvelle base ?
Complétement ! Ça m’a permis de savoir ce que je voulais faire avec Alcest à partir de maintenant, au bout de quasiment vingt ans de carrière et ce que je veux raconter avec ce projet. Et en fait, je me suis rendu compte que j'avais besoin de revenir aux toutes premières inspirations du groupe, beaucoup plus spirituelles, beaucoup plus positives aussi.
Et donc voilà, pendant un an, je n'ai quasiment pas composé. J'ai essayé, mais il n'y avait rien qui venait, c'était vraiment la page blanche. Donc je me suis dit qu’il fallait peut-être trouver un taf chez McDo (Sourire)… Quand même pas, mais voilà, disons que ça m'a fait un peu flipper. Je me suis dit que c'était la première fois que je passe autant de temps sans vraiment trouver la moindre idée pour le groupe. Et à un moment donné -quand le monde a commencé à se rouvrir- j'ai fait un voyage en Corse : je suis rentré chez moi et j'ai été un petit peu gorgé d'inspiration. Parce qu'après avoir vécu confiné pendant longtemps, le fait de se retrouver dans un endroit incroyable comme ça, ça a fait une espèce de choc. L'extérieur est super inspirant et très positif.
Ce qui n’était pas forcément le cas sur le précédent album. D’ailleurs, tu nous avais dit aussi, toujours par rapport à "Spirtiual Instinct", que vous aviez pris trop de temps aussi dans les décisions, que vous auriez dû être plus spontanés au moment de la composition de cet album. A la lecture de tous ces éléments, sans cet épisode Covid, n’y avait-il pas le risque d'une implosion au sein d’Alcest ?
Si, mais disons que comme on a été forcés à vraiment s'arrêter pour prendre une grosse pause, ça nous a permis de repartir sur des bonnes bases. En revanche, ce nouvel album est peut-être encore moins spontané que "Spiritual Instinct". Mais là, c'est pour une autre raison : on s'est enregistré nous-mêmes et du coup on avait beaucoup plus de temps.
Tu disais qu’heureusement le Covid a été là pour faire une pause forcée mais que se serait-il passé s'il n'y avait pas eu le Covid ?
Je ne sais pas. Avec des "si"... (Rires).
Je ne pense pas que le groupe aurait implosé
Ça aurait peut-être été dramatique ?
Je pense qu'on aurait été vraiment fatigués. Je ne pense pas que le groupe aurait implosé. Après j'ai tendance à pas me souvenir, j'ai une mémoire qui est très sélective. Je ne me souviens pas des épisodes plus difficiles en général et donc je n'ai pas le souvenir que ça a été si dramatique que ça… Et comme avec Winterhalter, on se connaît tellement bien, entre nous ça se passait déjà super bien et maintenant, c’est peut-être encore mieux ! A chaque album, on apprend à se connaître un peu plus et c'est très chouette de pouvoir partager ça.
Tu nous as dit que vous aviez énormément tourné pour "Spiritual Instinct". Justement, au moment où on s'était vus, vous veniez de signer chez Nuclear Blast et on se posait la question de savoir si un tel label pouvait travailler un projet comme Alcest. Cinq ans après, quel est le bilan pour toi ? Est-ce qu'effectivement, le passage de Prophecy chez qui vous étiez depuis un certain temps…
Douze ans chez Prophecy…
… quel le bilan du passage de Prophecy chez Nuclear Blast ?
Alors le bilan est extrêmement positif avec Nuclear Blast. En fait, on n'a pas senti le changement et je pense que c'est la meilleure chose qui puisse se passer : ça a été complètement dans la continuité de notre parcours chez Prophecy. Sauf qu'avec le recul, on a presque ressenti qu'on manquait de communication avec le label Prophecy alors que c'est un label
underground. Chez Nuclear Blast, ils ont une équipe française qui est incroyable et en fait on se parle quasiment tous les jours et on n’a pas du tout senti le fait d'être dans une "grosse machine". C'est comme si on travaillait quasiment avec des potes. C'est ultra confortable pour un groupe. Et ils ont fait en plus des choses qui sont assez inhabituelles pour un label. Il y a eu une espèce de petit concours sur les réseaux sociaux : les fans devaient laisser un commentaire et ensuite, le label leur envoyait un message comme quoi s'ils sont intéressés, ils peuvent leur envoyer un cadeau spécial. Et c'est quelqu'un du label, personnellement, qui a fait les envois, qui a écrit des petits mots, il y a eu des origamis…. On ne s'attend pas à ce que le Nuclear Blast fasse ça… C’est ce que j'adore chez eux : c'est la structure d'un gros label -avec tous les moyens qu'il peut y avoir- mais avec le confort d'être sur quelque chose de passionné… Donc, ce n'est que du positif : Nuclear Blast vraiment c'est super !
Dans le précédent album, "Spiritual Instinct", la pochette se nourrissait du symbolisme. Cette fois-ci, la pochette des "Chants de l'Aurore" évoque plutôt la peinture du douanier Rousseau, la charmeuse des serpents. Est-ce intentionnel ?
Je suis passionné de symbolisme en général et j'adore Rousseau aussi. C'est juste que la pochette n'est pas vraiment inspirée de Rousseau, c'est plutôt en fait un peintre australien qui fait plus partie du courant de l'art nouveau. Mais disons que je ne réfléchis pas forcément en termes de courant artistique : la pochette du nouvel album est une réinterprétation d'un tableau existant. Et du coup c'est le peintre Yoann Lossel, un peintre français, à qui j'ai demandé de réinterpréter ce tableau qui fait partie de mes tables préférées qui s'appelle "The Spirit of the Plains" du peintre australien Sidney Long. Le tableau original est complètement horizontal et donc n'était pas propice à un format pochette. Donc j'ai demandé à Yoann de le réinterpréter au format carré et de refaire à sa sauce. Yoann est un peintre exceptionnel, il a un niveau technique que peu de personnes ont : j'ai rarement rencontré quelqu'un d'aussi talentueux ! C'est donc une peinture à l'huile qui dénote complètement avec tout ce qu'on peut voir visuellement dans le motif.
Cette peinture trône-t-elle désormais chez toi ?
Apparemment Yoann a été contacté par beaucoup de collectionneurs pour acquérir le précieux mais je pense que je vais pouvoir l'avoir parce que ça serait quand même très étrange que ce soit quelqu'un d'autre qui l’ait.
Comme on l'a évoqué depuis le début de cette interview, on peut voir cet album "Les Chants de l'Aurore" comme une renaissance après avoir sondé le plus sombre…
Oui, c’était la face la plus sombre d’Alcest, c’est vrai…
"Les chants de l'Aurore" est pour moi un retour aux premières
inspirations du projet, ce qui a fait que j'ai créé Alcest à la base.
… ce qu'on retrouve également dans la pochette. On a évoqué l’ouverture d’un chapitre dans la carrière d’Alcest mais est-ce que tout ceci était intentionnel ?
En fait, les trois derniers albums "Spiritual Instinct", "Kodama" et "Shelter" sont pour moi des albums un petit peu concept qui s'éloignaient un petit peu du concept premier d'Alcest qui était vraiment ce projet ultra spirituel qui part d'une expérience vécue que j'ai eu quand j'étais plus jeune dont je parle quasiment dans chaque interview. Et c'est vrai que je ne dirais pas que je me suis éloigné de ça mais ça a été abordé sous des angles assez différents. Dans "Kodama", il y avait le prisme un petit peu culture japonaise, retour à la nature, Princesse Mononoké… "Shelter" était un petit peu l'album solaire et shoegaze d’Alcest. Et "Spiritual Instinct" était le fait d'être déconnecté de sa propre spiritualité, de perdre contact avec ce qu'on est au plus profond nous-mêmes, l'égarement et la colère… : des émotions beaucoup plus sombres. Et donc le nouvel album "Les chants de l'Aurore" est pour moi un retour aux premières inspirations du projet, ce qui a fait que j'ai créé Alcest à la base.
"Spiritual Instinct" reflétait ce que j'étais à l'époque [...] "Les Chants de l’Aurore" est beaucoup plus déconnecté de ma
vie personnelle
Et est-ce que ces émotions que tu viens d’évoquer reflète ton état d'esprit dans chaque album ?
"Spiritual Instinct" reflétait ce que j'étais à l'époque. Et à l'inverse, "Les Chants de l’Aurore" est beaucoup plus déconnecté de ma vie personnelle. C'est un petit peu comme ce que je faisais à l'époque de "Souvenirs d’un autre monde" pour autant ce n'est pas que ce n'est pas personnel, c'est juste que ça dépend de ce qu'on qualifierait de personnel. Pour moi, personnel, ce n'est pas forcément lié à ce qu'on va vivre dans nos vies quotidiennes. C'est beaucoup plus profond, en fait, ce que je vais exprimer sur "Les Chants de l'Aurore" est la partie de nous la plus enfouie et qui n'est pas forcément liée à notre quotidien. Ça va être plutôt une partie beaucoup plus lumineuse qu'on peut avoir et c'est exactement la même approche que j'avais dans les premiers albums.
On a voulu dépoussiérer le vieux Alcest et le remettre au bout du jour
Pour ce nouvel album, vous avez choisi comme single ‘L’envol’ qui est présenté comme un retour aux atmosphères des premiers Alcest sauf que justement l'album dans son ensemble s'éloigne encore un peu plus de ce que des prédécesseurs qui étaient plus black metal. N’est-ce pas paradoxal justement de présenter cette chanson comme un retour alors que justement on s'éloigne ?
L'évolution ne veut pas forcément dire aller toujours plus loin dans l'intensité, dans la noirceur… Le retour en arrière peut faire partie d'une évolution : il y a beaucoup de peintres ou de musiciens qui ont voulu un petit peu reprendre les choses où ils les avaient laissés à une époque de leur vie et ça peut faire partie d'un parcours, en fait. Pour moi ce n’est absolument pas une régression. Sans forcément que ce soit négatif mais disons qu'on reprend les choses où on les avait laissées avec l'expérience qu'on peut avoir maintenant en tant que musiciens donc au niveau de la production au niveau des arrangements… On a voulu dépoussiérer le vieux Alcest et le remettre au bout du jour.
Vous présentez ce retour avec 'L'envol' mais à notre avis, s'il fallait choisir un titre qui affiche le plus les oripeaux du passé d'Alcest n’est-ce pas plutôt ‘Amethyste’ qui sonnerait le plus black metal ?
Mais le vieux Alcest n'est pas black metal. Le vieux Alcest, c'est "Souvenir d’un autre monde" qui est un album où il n'y a pas de chant hurlé du tout. Donc le plus black metal pour moi c'est "Spiritual Instinct".
C'est assez marrant parce que quand on dit retour aux sources on s'imagine des albums plus violents mais le retour aux sources d'Alcest : c'est des choses beaucoup plus douces. Ça s'est durci avec le temps...
A ce titre, il y a peu de chant black sur cet album quelques passages sur ‘Amethyste’ et ‘L'envol’. Et-ce que c'est un exercice plus difficile pour toi à gérer au niveau de la voix ou tout simplement parce que le thème ne s'y prêtait pas aussi ?
C'est un peu les deux. En vieillissant -parce que je ne suis plus tout jeune malheureusement (Sourire)- l'organe vocal évolue et forcément et c'est beaucoup plus demandant, c’est beaucoup plus physique… Alors je n'ai sûrement pas une très bonne technique à la base mais je ne veux pas avoir une bonne technique parce que pour moi, le chant hurlé ne doit pas être maîtrisé et c'est un truc que je trouve dommage dans le metal c'est que j'entends énormément de chants hurlés où il n'y a rien qui dépasse… Le gars maîtrise parfaitement mais je ne ressens pas d'émotions et c'est ce qui est chouette avec le black metal : ce ne sont que des très mauvais chanteurs et très mauvais hurleurs mais pour le coup il y a beaucoup plus d'émotions qui passent… C'est un peu mon approche et il y a aussi le fait que, effectivement, j'ai beaucoup moins de colère en moi que quand j'étais plus jeune. Et la manière dont je vois le chant hurlé, c’est qu’il faut avoir une bonne raison de crier.
... Que tu n'as plus forcément aujourd'hui ?
Je n'ai plus forcément le besoin de faire ça. Je vais vouloir exprimer l'intensité de manière différente qu'en hurlant. Et encore une fois, je trouve qu'il y a beaucoup de groupes dans le metal où on entend du chant hurlé mais pour moi il n'y a pas de vraie colère derrière ou de vraies émotions complètement débordantes.
C'est un instrument supplémentaire…
Oui, c'est une texture…
Il y a toujours ce concept dans Alcest où je ne me suis jamais trop senti à ma place ici
Une des chansons de cet album a pour titre ‘L'enfant de la Lune’. Le deuxième album d'Alcest s'intitulait "Les Ecailles de Lune". En quoi cet astre te fascine ? De la même façon, il y a un sentiment que la thématique des oiseaux semble récurrente aussi dans ton œuvre. En quoi ces deux éléments -la lune et les oiseaux- sont importants pour toi ?
Il y a des choses qui ne s'expliquent pas trop… C'est vrai que j'ai toujours été très attiré par la lune et une vision en particulier de la lune au-dessus de la mer avec tous les reflets de la lune sur les vagues : une vision maritime nocturne qu’on retrouve sur la pochette des "Ecailles de Lune", d'ailleurs. Et donc c'est quelque chose qui m'inspire énormément. Ça va évoquer la mélancolie, l'impression aussi peut-être de voir un chez-soi lointain : je viendrai de la Lune et je vois mon chez moi qui est loin et je suis sur Terre en ce moment. Et je me sens un petit peu nostalgique et pas à ma place. Il y a toujours ce concept dans Alcest où je ne me suis jamais trop senti à ma place ici. Donc la Lune pourrait représenter ce chez soi.
Pourquoi ce sentiment de ne pas être à sa place ?
Si je le savais (Sourire)… Je ne sais pas : j'ai toujours ressenti ça !
Justement tu disais qu'il y avait une colère en toi, qui s’est atténuée. Cela signifierait-il que petit à petit, tu arrives à trouver ta place parmi nous ?
Peut-être. Il y a peut-être un petit peu de ça. Mais il y a aussi d'autres manières d'exprimer la frustration ou la colère. Et c'est vrai que la Lune est un motif récurrent et je ne sais pas si tu as vu le film "Le Conte de la princesse Kaguya" : c'est un animé fait par les studios Ghibli et c'est une princesse qui a envoyé de la Lune sur Terre pour faire l'expérience de la vie humaine, et au bout d'un moment elle se rend compte que son chez elle lui manque trop et en fait elle demande à la Lune de la rappeler à elle. Et donc les gens de son peuple -le peuple de la Lune- viennent la chercher et la ramènent chez elle. C'est un déchirement pour ses parents terriens.
C'est quelque chose qui parle ?
Complètement. Et Alcest, c'est un peu ça. C'est toujours l'impression de ne pas être chez moi.
On a évoqué la Lune et pourquoi les oiseaux ?
L’envol, se détacher ailleurs et aller ailleurs…
Pour se rapprocher de la Lune ?
Pas forcément la Lune !
Mais tu peux t'en rapprocher...
Oui, ou quelque chose de beaucoup plus abstrait : juste la sensation d'être toujours un petit peu en décalage.
Mon approche [...] est de transporter les gens vers une réalité un petit peu meilleure.
Et justement le thème du voyage est également très présent dans cet album et de façon générale. Est-ce qu'on peut décrire Alcest aussi comme un périple aussi bien géographique qu'intime ?
C’est très technique comme question (Sourire)… Comme je disais par rapport à la Lune justement, ce ne sont pas des endroits concrets, et le monde un peu spirituel dont je parle depuis le début du groupe n'est pas un endroit forcément palpable. Je ne pense donc pas que ça pourrait être un voyage géographique. Mais disons que ça parle de l'ailleurs en général, quelque chose qui est détaché de notre réalité quotidienne et de la réalité en général, qui en plus est franchement pas réjouissante en ce moment. Je pense que c'est une thématique qui pourrait parler à beaucoup de monde. Et il y a plein de groupes d'artistes ou de groupes de musique qui justement, en des temps un petit peu difficiles comme maintenant, vont proposer des choses extrêmement sombres, extrêmement cathartiques. Mais mon approche, c'était vraiment de faire l'inverse, de transporter les gens vers une réalité un petit peu meilleure.
Les albums que vous proposez sont toujours très courts, guère plus de 40 minutes...
Oui...
... Est-ce une volonté d'aller à l'essentiel pour ne pas s’égarer, de proposer une création unique qui corresponde à une trame et un thème parfaitement réfléchis ?
Oui, il y a cette idée de contrôle. Je déteste les albums longs. Je n'arrive pas à les écouter. C'est en grande partie pour ça. Pour moi, un album parfait, c'est entre 40 et 45 minutes. Ce sont les deux faces du vinyle. Et la plupart des plus grands albums, des grands classiques des années 1970-1980, ils font deux fois 20 minutes... Et je trouve que les albums sont devenus de plus en plus longs et de plus en plus difficiles à écouter. Et je préfère me remettre un album et l’écouter en boucle que de me taper une heure de musique : au bout d'un moment on décroche, tout simplement. Et il y aussi cette volonté d'aller à l'essentiel. Je pense que la musique d'Alcest ne se prête pas du tout au format des albums longs. Elle s'y prête encore moins bien que d'autres styles. Parce qu'il y a un côté très vaporeux. Et au bout d'un moment, je pense qu'on décroche un petit peu.
Ton chant semble être en retrait dans le mix, presque timide parfois. Quelle est la raison de ce choix ?
C'est bizarre parce que tu n’es pas le premier à me dire ça alors que le chant est plus fort que sur les précédents disques.
D’où notre référence au mixage ?
Non, non, en fait le chant est plus fort ; j’ai chanté plus fort et mixé plus fort que sur les autres albums.
Alors comment expliques-tu ce ressenti de notre part ?
Je pense que pour Alcest, un chant un peu plus fort reste quand même beaucoup moins fort que la plupart des autres groupes. Et crois-moi s'il était plus fort ça ne sonnerait vraiment pas bien (Sourire) !
Ça a été testé ?
Ca a été testé et ça fait vraiment partie de l'identité du groupe, d'avoir le chant faisant partie d'un ensemble et non pas se détachant du
mix.
Mais c'est très étrange parce qu’il y a eu des moments pendant le
mix où on essayait de monter le chant le plus possible mais c'était vraiment la limite : après ça allait être trop fort ! On était déjà au max, là (Sourire) !
Dans cet album, on a sentiment également que tu as soigné l'aspect mélodique des compositions en proposant des passages atmosphériques plus qu'à l'habitude, se rapprochant parfois des derniers travaux d'Anathema. Est-ce que la recherche mélodique a été le principal guide de cet album ?
Je pense qu'il y a toujours eu énormément de mélodies dans Alcest. Je pense que le terme mélodie n'est pas forcément bien choisi, c'est plutôt le spectre d'instruments qui sont utilisés par rapport à ce qu'on avait avant. Sur "Spiritual Instinct", c’était très axé guitare, batterie, basse, chant. Et là, il y a du piano, il y a de la viole de gambe, il y a beaucoup de synthés aussi. Il y a une richesse au niveau des textures. Mais paradoxalement, c'est peut-être l'album le moins basé sur les riffs qu'on ait pu faire. Il est très texturé.
‘Réminiscence’ est un interlude essentiellement instrumental qui met en avant le piano. Est-ce que tu peux nous expliquer la raison de ce morceau à ce moment-là de l’album ? Oui. Est-ce que justement le choix aussi de son placement a été pensé ?
Je pense que dans un album, on a besoin de pauses ! Pour pouvoir apprécier les morceaux un peu plus denses, on a besoin de morceaux plus calmes pour se reposer les oreilles.
Pendant la période où je n'ai pas été très inspiré à la guitare pendant le Covid, paradoxalement j'ai écrit beaucoup sur le piano : j'ai donc une dizaine de morceaux piano que je sortirai un jour peut-être. Et ‘Réminiscence’ en fait partie. Et pour la petite histoire, c'est un morceau qui a été enregistré sur le piano de ma grand-mère qui était prof de piano, sur lequel toute la famille a appris à jouer de la musique. Et du coup, c'est ce piano-là qui a été enregistré. Il y a donc en plus un côté très symbolique et très personnel.
Ta grand-mère a-t-elle écouté le morceau ?
Elle l’a écouté mais je pense qu'elle n'a pas trop capté parce qu'elle est vraiment classique, classique (Mozart, Chopin...) alors que ‘Réminiscence’ est beaucoup plus proche de la musique minimaliste -Philip Glass…-qui n'est pas forcément sa "came". Mais je pense qu'elle a été quand même super fière qu'on débarque chez elle avec Winterhalter, avec tous les micros…. Elle a un peu paniqué la pauvre dans son petit chez elle où il y a le piano. Mais c'est vraiment super drôle parce que c'est la pièce où quand j'avais 4-5 ans, j'ai touché un instrument de musique pour la première fois, c'était ce piano-là !
Comme un retour aux sources… L'album se conclut par le mélancolique ‘L’Adieu’ alors que l'Aurore semble être le début de quelque chose. Pourquoi une telle conclusion ? On espère que ce n'est pas un message caché pour la suite d’Alcest…
(Rires) Non, non, ce n'est pas un message caché. Ce n'est pas aussi dramatique que ce que ça en a l'air, c'est juste que le texte que j'ai utilisé est un poème d'Apollinaire qui s'appelle ‘L’Adieu’ d’où le titre de la chanson. Sans vouloir être trop cliché, c'est plus un au revoir qu'un adieu. Mais c'est vrai que j'aime bien terminer mes albums par un morceau acoustique, très triste. J'aime bien plomber l'ambiance à la fin (Sourire). Et c'est un petit peu ‘Sur l’océan couleur de fer’ comme on avait sur ‘Ecailles de Lune’ mais de 2024 ! C'est une espèce de conclusion un peu "émo"…
J'ai aucun recul par rapport à Alcest.
On a parlé de la signature sur Nuclear Blast dont tu es pleinement satisfait. Cela signifie-t-il que tu es satisfait de la carrière du groupe et de son exposition ? Selon toi, qu'est-ce qui pourrait encore manquer ? Quelle pourrait être la prochaine étape ?
Pfff, tu sais, être satisfait… Est-ce qu'un musicien a déjà été satisfait ? Si on est satisfait, ça veut dire qu'on ne refait pas d'album après… En ce qui me concerne, je n’ai jamais été satisfait de quoi que ce soit… Enfin, je suis quand même assez fier de notre parcours. C'est juste que c'est extrêmement difficile d'être satisfait de quelque chose d'aussi personnel. J'ai aucun recul par rapport à Alcest.
Malgré tout, ta carrière a démarré il y a plus de 20 ans. Comment le Neige d’il y a 20 ans jugerait le Neige de 2024 ?
Je pense que je n'ai pas beaucoup changé, en revanche les rêves que j'avais, les choses dont je rêvais à l'époque se sont pour la plupart réalisés et même au-delà. Et il y a des choses que je n'aurais même jamais envisagé, comme par exemple d'être invité par Robert Smith de The Cure à jouer à son festival… Je n’aurais jamais ne serait-ce qu'imaginer ça ou de faire des tournées au Japon ou de jouer devant 3 000 personnes en Argentine… C’est fou !
Mais justement, quelle est la suite, la prochaine étape ?
Il y a une chose qui ne s'est pas encore passée pour Alcest, c'est d'être sur une BO de film : c'est mon dernier but, après, je peux mourir en paix. J’aimerais beaucoup être sur une bande originale de film : plus un morceau d'Alcest que de composer quelque chose spécialement pour un film…
Qu’un ‘Réminiscence’ par exemple touche un réalisateur qui souhaiterait l’utiliser ?
Voilà, par exemple !
Mon obsession avec Alcest est de proposer la musique la plus sincère et la plus qualitative possible
On ne va pas le souhaiter tout de suite parce que tu as dit que tu arrêtais si ça devait se réaliser…
Non, non, c'est absolument faux en plus, c'était une blague évidemment…Non, mais oui, il y a encore des petites choses à réaliser. Mon obsession avec Alcest est de proposer la musique la plus sincère et la plus qualitative possible. J'ai vraiment très peu d'intérêt pour le succès en général et tout ce que ça implique : le fait d'être connu, de gagner de l'argent… Tant qu'on gagne suffisamment d'argent pour pouvoir continuer à faire ça, c'est tout ce qui compte. Mais je veux vraiment proposer quelque chose de très authentique et de très qualitatif.
Et c'est le cas avec ce nouvel album. Merci beaucoup !
Quelle belle conclusion (Rires) ! Merci…
Merci à Childeric Thor et Calgepo pour leurs contributions...