La France regorge de nombreux groupes rock extraordinaires dans l'underground. On peut y ranger sans souci Somewhere City qui surprend son monde avec un premier album très réussi aux embruns grunge assumés. Rencontre avec Indria Saray pour nous en dire un peu plus sur ce disque.
Somewhere City est avant tout un projet personnel (d'Indria Saray d'Alcest et Francesco and the Black Swans) né en 2014. Quelle a été l’étincelle qui t’a conduit à créer ce projet ? Te sentais-tu frustré dans tes autres groupes ?
Il y a effectivement eu une part de frustration qui m’a mené à créer Somewhere City. Dans Alcest, je suis membre de session “live”, je ne fais pas vraiment partie du projet et n’ai donc aucun moyen de créer. Pour les autre groupes, je pouvais plus ou moins créer mes propres lignes de basse, mais je me sentais de plus en plus enfermé, car j’ai toujours été appelé pour jouer dans des groupes de metal extrême, et je ne me reconnaissais plus vraiment dans cette scène. Je voulais m’éloigner de cela. Mais c’est surtout le désir d’écrire mes propres chansons, d’utiliser la musique comme exutoire qui m’a poussé à créer mon propre projet. J’ai commencé à écrire mes propres chansons avec mon premier groupe, Darshan, même pas un mois après avoir commencé la basse, et j’ai stoppé ça pendant presque neuf ans. Je voulais revenir à ça, recréer mon univers.
Après un EP paru en 2017 sort cet album (LP) "Cry" ; le processus de création a été relativement long, quelles ont été les étapes franchies pour en arriver à cette réalisation ?
On peut enlever le “relativement” à ta question. Ça a vraiment été long. On a donc sorti le premier EP sans savoir où on allait. Vu que je n’avais pas beaucoup de chansons en stock, je me suis remis à écrire puis on s’est remis à bosser le projet assez rapidement, et on a commencé à enregistrer la première partie de l’album en 2019. Mars 2020 : confinement. Je suis resté coincé à Mayotte jusqu’en juillet, avec mon ordinateur et une guitare acoustique comme seuls moyens musicaux. S’en est suivi après mon retour confinements, couvre-feux et impossibilité de se déplacer pendant pratiquement un an et demi. Et vu qu’on est tous à plus d’une heure de route les uns des autres, on n’a finalement pas pu répéter pendant presque deux ans. Il faut rajouter à cela le temps passé sur la route pour moi avec Alcest, périodes pendant lesquelles je ne rentre pas chez moi. On peut compter bien deux ans de tournées depuis 2017. Bref, on s’est remis à nouveau à bosser sur l’album en 2022, Rémi, le bassiste a quitté le groupe en 2023, ce qui m’a fait prendre le rôle de bassiste pour la seconde partie de l’album, et j’ai décidé de faire le mixage moi-même, sans vraiment avoir d’expérience pour mixer un album complet. Tout cela cumulé, ça nous mène donc à un très long processus entre la création et la sortie de ce premier album.
La durée de l’album est de 47 minutes avec une très belle pochette (cette pleine lune et ce gamin assis par terre avec plein de feuilles de papier tout autour de lui) c’est idéal pour un album vinyle. Pour l’instant seule une version physique CD est disponible, est-ce quelque chose qui est prévu et que représente pour toi cet attachement aux supports physiques ?
J’aimerais bien sortir l’album en vinyle, j’adore l’objet en lui-même. Mais la fabrication de vinyles coûte cher, et vu que le groupe est autoproduit et n’est pas forcément connu, il y avait le risque de perdre pas mal d’argent et de place à la maison. Si jamais on vend assez de CDs pour se faire des bons bénéfices, j’envisagerais une sortie vinyle en petite quantité. J’ai toujours un attachement pour les CDs et vinyles, car le visuel et l’univers graphique des groupes peuvent influencer sur notre désir d’écouter un album, mais je dois bien avouer que je n’écoute mes CDs qu’en voiture. Spotify a pris le relais chez moi pour l’écoute en général, même si la platine chauffe toujours également.
C’est bien le côté
nostalgique qui me plaît dans le grunge et le rock alternatif des années
90-00, et c’est ce que je voulais retranscrire sur le premier album de
Somewhere City.
On sent un très fort attachement dans cet album au grunge, la musique de Seattle (on cite Pearl Jam en premier lieu) mais aussi au rock alternatif avec ce penchant nostalgique surtout en tout début d’album avec ‘The Fallen One’ et la conclusion ‘December Soul’. Que représente pour toi cette influence ?
Pour être honnête, je me suis remis à vraiment en écouter après avoir fait écouter les premiers jets de Somewhere City à mes proches, qui m’ont effectivement beaucoup parlé d’Eddie Vedder. Le grunge a toujours fait partie de mon inconscient musical via MTV et MCM qui passaient énormément de rock et metal en France dans les années 2000, mais à cette époque je n’ai écouté hors clips que Nirvana. Pour ce qui est d’Alice in Chains, Stone Temple Pilots et Pearl Jam, j’ai appris à les découvrir sur le tard et c’est devenu une obsession quelques années. Ça se ressent forcément. Par contre je suis fan des Smashing Pumpkins depuis très longtemps. C’est bien le côté nostalgique qui me plaît dans le grunge et le rock alternatif des années 90-2000, et c’est ce que je voulais retranscrire sur le premier album de Somewhere City. Cette influence représente le désir adolescent de devenir un musicien reconnu et de voyager à travers le monde.

En quoi tes expériences passées notamment avec Alcest ont nourri ce projet et cet album ?
Au niveau de l’écriture, l’influence d’Alcest va surtout se ressentir sur les arrangements, le désir de créer une atmosphère plutôt qu’une chanson frontale. J'ai appris à retravailler et peaufiner mes morceaux, à m’intéresser au son global et non pas seulement au son brut de l’instrument, à ne pas trop en faire lorsqu’il y en a pas besoin. Et surtout à faire ce que je désire musicalement sans me soucier des tendances, et juste faire un projet musical qui me ressemble. Tout ça, je pense que ça provient en partie d’Alcest. Ça m’a également appris à diriger, donner une ligne directrice à mes musiciens. Ils ne sont pas à la note près, mais c’est vrai que certaines idées conviennent plus que d’autres à une chanson, une vision, et qu’il faut parfois trancher, parfois laisser la porte ouvertes aux idées aux membres du groupe.
‘Lost In Somewhere City’ (référence au nom de l’album) est une chanson écrite en français, pourquoi t’es-tu contenté d’un seul texte écrit ainsi ? On y trouve quelques faux airs de Bashung, partages-tu cette impression ?
C’est tout simplement la seule chanson écrite en français que j’avais sous la main. C’était également un test car je n’avais jamais chanté en français, même pour m’amuser. Je voulais voir si ça pouvait le faire avant de me lancer, mais je trouve qu’écrire en français est particulièrement difficile. On tombe rapidement dans la faute de goût ou le dans le naïf. Mais je ne suis pas fermé à réitérer l’écriture en français, il y aura sans doute d’autres chansons en français lors du prochain album. Je vois ce que tu veux dire concernant Bashung. Il y a un côté spleen des villes dans ‘Lost in Somewhere City’ qui s’approche de son univers. On est dans le contemplatif, l’onirique tout en gardant un pied dans la réalité. C’est un de mes artistes français préférés avec Thiéfaine, pour ce qui concerne la chanson française.
La manière dont sont agencé les titres est bien particulière, une première partie avec des morceaux relativement plus courts et vers le 7ème titre (‘Saul’) des compositions plus longues dépassant pour certaine les 5 minutes. En quoi ce cheminement était important pour toi ?
L’album a été enregistré et mixé en deux fois à plusieurs années d’intervalle, et ce sont les derniers morceaux enregistrés qui se trouvent en première partie d’album. Justement, le premier enregistrement commence par 'Saul', qui est donc le premier morceau de la deuxième partie de l’album. J’ai séparé ces deux enregistrements dans le but de garder une cohésion sonore sur l’album. J’ai eu le temps pendant ces années d’épurer, réarranger les morceaux de la deuxième partie. Mais si tout l’album avait été enregistré en même temps, l’ordre des chansons aurait sûrement été différent. J’ai donc organisé le cheminement de l’album en prenant plus compte des problèmes d’ordre technique que le côté narratif. J’ai néanmoins essayé de rester cohérent à ce niveau-là.
Tu t’es entouré de musiciens au fil des ans, quelles ont été leur participation dans la conception de cet album et peut-on dire aujourd’hui que Somewhere City est un groupe plutôt qu’un projet personnel ?
Oui, Somewhere City est un groupe. Le line-up a été stable depuis la création du groupe jusqu’à 2023. On avance sans courir, car on a tous des emplois du temps très différents et presque tous d’autres projets musicaux. Tous les musiciens que j’ai recruté sont des amis, c’est donc assez facile de travailler avec. J’ai rencontré Rémi Brard, le bassiste sortant, à la fac il y a presque vingt ans. Il s’est chargé de la moitié de l’album à la basse. Il s’est occupé de ses lignes de basse, m’a un peu conseillé sur certaines directions à prendre.
Julien Lamarre, qui joue également dans le groupe de prog Main Art, arrange une partie des riffs de guitare. J’écris la base et on voit ensemble pour améliorer cette base lorsqu’il y en a besoin. Il se charge également de tout ce qui est solos et leads. Il a aussi arrangé et enregistré les chœurs de l’album avec sa femme Laure, qui est la présence vocale féminine sur ‘Cry’.
Il reste donc Yann Lerousseau, le batteur, avec qui j’avais fait de la reprise dans les bars et restos auparavant. Avec Yann, on se réunit de temps en temps pour bosser les arrangements de batterie en détail. J’ai un rythme de base dans la tête et il peaufine et propose autre chose lorsqu’il a des idées.
J’aime bien l’idée d’avoir du relief dans un album.
'Better' est l’une des chansons les plus efficaces avec un refrain très enlevé, presque FM, un peu comme Pearl Jam l’avait proposé avec ‘Dance Of The Clairvoyants’ qui était un titre relativement immédiat. En quoi c’est important pour le projet de proposer de tels titres ?
'Better' est le dernier morceau que j’ai composé pour l’album, et c’est également le plus direct. Je voulais contrebalancer le côté introspectif de l’album, tout en gardant la patte mélancolique de Somewhere City. J’aime bien l’idée d’avoir du relief dans un album. Je ne l’applique pas encore très bien, mais je pense qu’il faut à la fois de la cohérence et de la variété dans une chanson ou dans un album. J’ai beaucoup écouté de Hard Rock FM, de pop 80’s, et un peu de post punk dans ma jeunesse, et je voulais rendre hommage à ces chansons à ma manière, avec un morceau direct et FM. Dans tous les cas, je n’ai pas envie de me limiter à un style ou à un code musical.
Le plus dur c’est d’allier et faire des compromis entre technique et émotion.
Ton chant est relativement mélodieux notamment dans ‘Another Day’ titre mid tempo, en quoi estimes-tu la voix comme un instrument qui véhicule des émotions au même titre que la guitare et comment la travailles tu ?
J’essaie de servir au mieux la chanson, quel que soit l’instrument. C’est parfois difficile d’adoucir ma voix vu le grain que j’ai, mais je fais du mieux que je peux. J’ai eu l’habitude de pousser sur la voix pendant très longtemps, mais j’essaie de justement travailler sur le côté plus sobre et posé maintenant, histoire de pouvoir varier le plus possible les émotions et les intentions. Mais oui, je considère la voix comme un instrument, et sur ‘Another Day’, il fallait un côté intimiste, limite sucré, au niveau vocal, et c’est ce que j’ai essayé de retranscrire. Pour ce qui est du travail technique vocal, le souffle et le ventre sont mes amis, et en ce qui concerne les émotions, chanter sans réfléchir marche plutôt bien. Le plus dur c’est d’allier et faire des compromis entre technique et émotion.

‘Hero’, l’un des titres les plus longs, semble composé de deux parties presque une composition progressive, cette incursion est-elle quelque chose que tu aimerais explorer dans un futur projet ?
Autrefois, j’aurais pu essayer de composer un morceau de dix ou vingt minutes, mais en ce moment, je suis plus porté sur le simple et efficace. Ce qui ne veut pas dire que je ferme la porte à un long morceau progressif à la Pink Floyd, avec Somewhere City ou un autre projet. J’ai récemment enregistré pour un groupe deux morceaux, pour un total de trente-trois minutes. Ça devrait sortir cette année ou l’année prochaine.
Le son de l’album est très organique, en quoi ce choix se justifiait pour toi ? Par respect pour le genre ?
J’ai juste une préférence pour le son organique dans la musique rock, en général. Je m’y retrouve rarement avec certaines productions modernes. Après, pour être honnête, mes capacités de mixeur à ce moment-là ne m’ont pas permis de faire un son plus fat et in your face, comme disent les anglophones. Pour le prochain album le son sera sans doute plus gros et relativement plus moderne, tout en restant organique.
Mes espoirs pour cet album, c’est simplement de toucher une plus grande audience
On sent que l’album évolue vers quelque chose de presque lumineux notamment dans ‘Hopes And Dreams’, quels sont tes espoirs et tes rêves et en particulier avec cet album ?
‘Hopes and Dreams’ parle de mes espoirs d’adolescent et de la prise de conscience de la chance d’avoir été abandonné à la naissance. C’est paradoxal et ça relève de mon cas en particulier et je ne prône surtout pas l’abandon des enfants ! Mes espoirs pour cet album, c’est simplement de toucher une plus grande audience et de vendre assez d’albums pour mieux produire le prochain. Rien de bien fou. Sinon, je rêverais de partir faire une petite tournée avec le groupe, mais bon, déjà, il faut trouver un nouveau bassiste.
La scène provençale regorge de groupes rock assez impressionnants avec notamment Blooming Discord, Furiapolis, Scarlean… quelles sont tes connexions avec cette scène et comment l’apprécies-tu dans une région dominée par le rap et le hip hop ?
Je connais certains membres de groupes rock et metal provençaux, reconnus ou non en France comme Acod, Slavian, Wrath of the Apostate, Sendwood, Sunbeam Overdrive, Tusken... Pour certains, on se voit en concert, on boit des verres ensemble et on se soutient parfois en allant aux concerts des uns et des autres. Enfin, je pourrais parler au passé car je sors beaucoup moins aujourd’hui. Mais il y a une activité underground active via des salles comme l’Humus à La Fare-les Oliviers et les petites salles de concert marseillaises et même aixoises. Après, c’est vrai qu’il est dur pour les organisateurs de faire de gros concerts de rock par chez nous.

Quelles sont tes ambitions pour cet album, des attentes particulières ? As-tu des dates de concerts à nous annoncer ?
Pas d’ambitions particulières si ce n’est de faire découvrir l’album et le groupe à une audience plus large. J’espère juste que des gens prendront le temps d’écouter, car ça fait toujours plaisir d’avoir des retours sur sa musique. J’aimerais également défendre l’album sur scène mais ce n’est pas d’actualité, vu que nous n’avons plus de bassiste (si tu es bassiste dans le 13 et que tu lis cette interview... ).
On te laisse le dernier mot pour nos lecteurs.
Merci simplement pour le temps passé à découvrir le groupe. Je sors un album avec mon autre groupe, Francesco and the Black Swans, fin mars, et vais jouer avec celui-ci sur scène le 12 avril au Cherrydon.