Music Waves a rencontré le groupe The Trouble Notes, dans le cadre de la sortie de son dernier album 'Liberty Awaits' au carrefour de toutes les cultures et identités musicales.
Pourriez-vous revenir sur la genèse du groupe, vous vous seriez formés un peu par hasard du coté de New York. Le groupe semble se concentrer sur un trio formé par Bennet Cerven (violon), Florian Eisenschmidt (guitare) et Oliver Maguire (percussions) autour de qui gravitent des invités. D'où viennent chacun des membres et comment s'est écrite leur histoire d'amour musicale ?
Le groupe est composé à l'heure actuelle de Bennet Cerven des États-Unis, Florian Eisenschmidt d'Allemagne, Carola Zerega d'Équateur et Julian Lardis d'Australie. C'est vrai que notre groupe a commencé à New York en 2012 et nous avons un peu changé au fil des ans au fur et à mesure que nous voyagions. Les membres rejoignent et quittent le groupe tout au long d'une histoire de 10 ans, mais partagent finalement tous une passion pour faire de la musique et connecter les cultures.
Notre formation actuelle est plutôt fraîche, s'étant vraiment constituée en début d'année. Notre percussionniste de longue date, Oliver, a quitté le groupe au début de l'année et nous avons été confrontés à un choix difficile pour la suite. Carola avait passé du temps avec nous en tant qu'interprète invitée au début de 2022, donnant un petit nombre de concerts et enregistrant sur notre album. C'était un choix logique de lui demander de rejoindre le groupe à plein temps et de voir ce que nous pouvions créer ensemble sur une plus grande échelle. Ensuite, nous avons eu la chance de rencontrer Julian, qui jouait à la batterie d'un autre groupe australien, Kallidad, avec qui nous avons toujours été très proches. Son groupe a malheureusement terminé son aventure à la fin de l'année dernière, ce qui lui a permis de nous rejoindre à plein temps. Julian ne pourrait pas être plus parfait pour ce rôle, il apporte beaucoup de compétences et une perspective différente à notre groupe, ce que nous saluons sincèrement.
On vous appelle parfois Les Troublemakers. Comment avez-vous gagné ce surnom ? Est-ce que vous pourriez utiliser ce nom pour un autre projet dans l'avenir ?
Nous sommes en fait nos fans et supporters les plus proches, les "Troublemakers" (les fauteurs de trouble), bien que nous soyons sûrs qu'il y a une part de vérité dans ce nom pour nous aussi!
En 2017, des vidéos tournées en Allemagne et en France ont reçu un accueil très enthousiaste. Comment avez-vous réagi et considérez-vous ces deux pays comme vos pays d'adoption puisque vous enregistrerez d'ailleurs votre premier album en Allemagne et ce nouvel album entre France et Belgique ?
La France et l'Allemagne ont toujours été très bonnes avec nous. C'est vrai qu'en 2017, nos deux vidéos de spectacles de rue à Strasbourg et à Würzburg sont devenues super virales. Ils nous ont donné une visibilité internationale, mais nous ont également aidés à toucher davantage de personnes dans les régions locales, particulièrement en Alsace, où nous nous sommes produits dans de nombreux lieux et avons participé à des événements incroyables. Notre premier album studio a été enregistré en 2016 à Berlin, la ville où nous habitons depuis 2014. C'était une production massive et cela devait être notre grande entrée sur la scène musicale. Après la sortie de l'album, nous avons fait une tournée internationale pendant deux ans avant de nous préparer pour nos prochains enregistrements. C'était prévu pour 2020, mais évidemment le monde a radicalement changé cette année-là et nous avons été obligés de tout mettre en jachère. En 2021, vers la fin de la période de confinement, nous étions allés rendre visite à des amis à Courtrai, en Belgique. Là, nous avons passé un mois à écrire de la musique et à passer du temps avec un collectif d'artistes féminins appelé
Les Magnolias. C'est à cette époque qu'on nous a proposé une résidence pour 2022 au Conservatoire de Courtrai, où on nous donnerait une ancienne salle de radio pour enregistrer un album. Nous avons également mis en vedette sur l'album des artistes que nous avons rencontrés pendant notre séjour en Belgique, dont Carola.
Qu'est-ce que ces deux pays vous ont offert musicalement et quels sont les éléments musicaux que vous avez inclus dans votre travail (notamment les pochettes très alsaciennes) ?
L'Alsace a eu un impact énorme sur notre groupe. La pochette du single "Perle d'Alsace" a été réalisée par Stanne Husson Steinbach dont l'ancêtre fut l'un des architectes de la célèbre Cathédrale. Strasbourg est une ville dans laquelle nous revenons et nous nous retrouvons souvent pour y écrire de nouvelles compositions. C'est inspirant et revigorant la façon dont Paris et Berlin nous ont accueilli au début de notre carrière en groupe.
Comment se passe une session d'enregistrement de The Trouble Notes, qui décide de quoi, tout le monde a sa voix au chapitre ?
"Liberty Awaits" a été produit par Bennet et enregistré par Bennet et Florian ensemble. Il y a une grande quantité de compétences individuelles au sein du groupe, donc nous offrons souvent beaucoup de liberté créative à nos membres, mais cela peut vite tourner au drame si quelqu'un n'a pas le dernier mot sur une décision. Dans le cas de cet album, l'équipe a confié ce dernier mot à Bennet. Cela dit, nous sommes tous assez satisfaits de la façon dont tout s'est déroulé et nous avons tous le sentiment que toutes nos empreintes digitales figurent sur cet album. Nous n'avons pas eu de bagarre et tout s'est plutôt bien passé. C'était une très belle dynamique.
Les
membres partagent finalement tous une passion pour faire de la
musique et connecter les cultures.
Avez-vous donné des conseils à Carola Zerega pour l'interprétation des textes ? Comment l'avez-vous rencontrée ?
Nous avons rencontré Carola par hasard à Courtrai. C'était une nouvelle recrue du collectif Magnolia, elle venait juste de déménager d'Ukraine en Belgique et notre amie commune Monica nous avait proposé de faire une petite jam avec elle. La chanson 'Liberty Awaits' était un morceau sur lequel nous travaillions à l'époque et nous venions d'enregistrer les instrumentaux. Pendant le jam, nous avons joué la chanson avec elle et elle a commencé à improviser au milieu. Ce fut un moment émouvant. Nous lui avons immédiatement demandé si elle accepterait de nous rejoindre en studio et d'enregistrer des voix sur cette piste et elle a accepté. Quelques jours plus tard, quand elle est arrivée, nous avons installé les micros et lui avons donné les écouteurs. Ce que vous entendez sur cet enregistrement est l'unique prise enregistrée - c'était le reflet de cet instant de grâce! Son chant sur 'Never Dream Alone' était quelque chose de plus planifié. C'était une vision que nous avions bien avant car la chanson est une ode au Royaume d'Elfia, un festival hollandais de cosplay où nous sommes devenus une sorte de groupe maison. Nous avons écrit cette chanson sur la magie de cet endroit.
Pourquoi selon le nom de l'album, la liberté est-elle suspendue ("Liberty Awaits") ?
Alors, la première piste et le nom de l'album, 'Liberty Awaits', est une épopée sur le grand voyage d'immigrés. Plus précisément, il a été écrit peu de temps après la mort du grand-père de Bennet, qui était le descendant d'immigrés irlandais qui avaient échappé à la grande famine au XIXème siècle. L'immigration et le voyage sont devenus un thème principal de l'album et le titre semblait donc très approprié car il s'agissait de la poursuite de la liberté et de la sécurité, ce qui est l'une des principales raisons pour lesquelles de nombreux migrants fuient leur patrie à la recherche d'une vie meilleure.
Le démarrage est percutant avec beaucoup de grâce, le violon virevoltant et un charme oriental portée par la voix de la chanteuse. C'était pour vous une manière de nous dire d'accrocher nos ceintures et que nous allions faire un tour du monde ?
Vous avez raison de dire que cela donne à l'auditeur ce sentiment! En fait, c'était à dessein que nous voulions que l'introduction de l'album représente une sorte de "chant de sirène" à travers la mer, appelant l'auditeur à faire le voyage. C'est ainsi que nous imaginions que nos ancêtres auraient pu se sentir alors qu'ils se préparaient à faire des voyages audacieux à travers l'océan pour arriver dans leur nouvelle patrie.
Sur cette première piste assez riche et qui emprunte différentes directions, on retrouve une saveur de rock progressif, est-ce un genre qui vous intéresse ?
Oui, tout à fait! Le rock progressif est un genre que nous aimons tous. En fait, il est probable que notre troisième album soit plus dans ce style, surtout avec les nouveaux venus dans notre équipe. Certaines de nos plus grandes influences musicales ont trouvé un réconfort dans ce genre et nous pensons que celui-ci peut stimuler notre créativité.
'Never Dream Alone' démarre sur une note plus mélancolique avant de trouver un esprit celte virevoltant . Pearl d'Alsace s'élève vers les cieux au son d'un langoureux violon avant que la guitare ne vienne prendre le relais pour apporter un esprit plus dynamique. Comment avez-vous réussi à trouver un équilibre entre ces différentes atmosphères ? Et était-ce une façon de dire à votre auditeur : soyez sans cesse surpris ?
Chaque composition de l'album est censée constituer un voyage, et en tant que telle, celle-ci est assez dynamique. L'introduction de 'Never Dream Alone' et de 'Pearl d'Alsace' servent en quelque sorte d'entrée dans un domaine spécifique de l'imagination, beau et fantastique, qui préparerait le terrain pour le voyage à venir. Ces petites surprises qui suivent sont des bandes sonores d'événements qui se produisent tout au long du parcours de l'auditeur.
'Mayahuel' surprend quelque peu par son esprit jazzy gypsy tout comme le bluesy 'Turkish Delight' (avec un super solo de wah wah). Comment réussissez-vous à réinvestir différents genres tout en gardant votre signature ?
Ces deux morceaux ont été directement influencés par d'autres musiciens dont nous nous sommes inspirés. Dans 'Mayahuel', c'est l'œuvre de
Rodrigo y Gabriela, qui a été une influence de la première heure et avec qui nous avons tourné ensemble en 2019 en France et en Suisse. Ce morceau parle spécifiquement du Mexique et de l'Europe, donc l'influence des rythmes et des sons folk/jazz européens et mexicains-latins fait partie de l'histoire. Avec 'Turkish Delight', nous avons essayé d'écrire quelque chose qui soit un peu différent de beaucoup d'autres morceaux de l'album. Nous avons écouté beaucoup de prog-rock, du cumbia et du psychédélique ces dernières années. Les groupes indépendants ont explosé avec des instrumentaux fantastiques ressemblant à des sons intéressants des années 70 et cela nous a inspirés pour écrire ce morceau. Le solo wah-wah à la fin est en fait un violon électrique, mais il est vrai que la chanson s'écarte du solo dominé par le violon typique de beaucoup de nos autres morceaux. La guitare est au centre d'une grande partie de la piste - quelque chose que nous voulons faire davantage!
['Sands Of Times'] est une allégorie de notre culture commune en tant qu'humains.
On ressent une grande complicité entre les trois en particulier sur 'Sand Of Times', une véritable oasis de fraîcheur dans un désert brûlant. Quel est le secret de cette puissante alliance ?
Bien vu! Ce morceau est une allégorie de notre culture commune en tant qu'humains. Nous nous imaginions en voyage à travers le désert, les réserves s'épuisant et l'espoir s'amenuisant. Et au fur et à mesure que vous avancez et que vous commencez à perdre la foi, vous tombez soudain sur une oasis remplie d'abondance. Et il y a une convergence des cultures, des gens venant de tous horizons, partageant leur expérience. Le message est simple, nous devons tendre vers « l'unité dans la diversité ». Il y a bien plus dans le monde qui nous unit qu'il ne nous divise.
Que signifie le titre 'Tihany Tanc' ? Ce morceau s'oriente dans son introduction vers la musique de film, le cinéma est-il un média qui vous intéresse ?
'Tihany Tanc' est la traduction hongroise de "Danse de Tihany". Ce morceau a été écrit en s'inspirant des Czardas hongrois et de la musique folklorique. En 2021, nous avons passé du temps près du lac Balaton et avons voulu écrire une pièce inspirée de cet endroit. En fait, la musique hongroise a eu une énorme influence sur Bennet à un plus jeune âge, car pendant ses études classiques, les pièces de danse folklorique faisaient partie de son répertoire qu'il appréciait plutôt. Quant au cinéma, oui presque! Nous avons enregistré quelques films documentaires au cours des dernières années et c'est quelque chose que nous apprécions énormément! Notre espoir est qu'à l'avenir nous pourrons travailler davantage dans ce média.
L'album se termine par 'The Banjolarian', redoutable thème mexicain avec un son de banjo venu d'ailleurs et autour duquel le violon tournoie. Une manière de terminer l'album sur une note grandiose en évitant les pièges du cliché que le banjo véhicule (malheureusement) ?
Nous nous sommes beaucoup amusé à l'enregistrer. Il a été le fruit de nos voyages à travers l'Amérique du Nord. Il y a une sorte de contraste entre deux mondes, les villes urbaines et les villes rurales. Parfois, les deux peuvent se sentir comme des pays différents, des cultures très éloignées les unes des autres, mais pourtant il y a quelque chose qui les unit. Plus précisément dans le Sud-Est qui est à l'honneur, et nous voulions donc écrire une pièce qui prenait des éléments du folk américain et les mélangeait avec des rythmes urbains et un style hip-hop. Ce 'Banjolorian' est une juxtaposition de ces deux sous-cultures.
L'immigration est l'un des thèmes de cet album avec l'exemple d'une de vos amies, Martha Xucunostli, mexicaine qui s'est installée en Europe. Quel regard portez-vous sur l'immigration qui est aujourd'hui assez mal connotée en Europe ? Le fait d'avoir des membres et des invités provenant du monde entier vous permet d'ailleurs d'enrichir votre musique.
Oui, vous avez tout à fait raison et c'est un thème important de nos deux albums. Notre groupe est international, nous venons de différents continents et nous avons tous eu des expériences en tant qu'immigrés. Naturellement, nous gravitons également vers d'autres personnes qui partagent cette expérience et il est vrai que l'immigration est devenue un tabou au cours de la dernière décennie. Notre musique est écrite dans cet esprit, nous voulons rapprocher les cultures et nous enrichir de ce que nous avons appris des autres cultures.
Dans le clip 'Mayahuel', on peut vous voir interpréter la chanson dans une atmosphère un peu festive, mettant en valeur un breuvage mexicain du même nom (à consommer avec modération). Comment s'est déroulé le tournage et pourquoi cette mise en valeur du Mayahuel ?
Mayahuel est une bière produite par notre amie Martha Xucunostli. Elle a déménagé du Mexique en Belgique par amour et cherchait un moyen de s'intégrer dans sa nouvelle patrie sans perdre ses traditions mexicaines. Elle est originaire d'Oaxaca et a toujours un lien profond avec son ascendance aztèque (ainsi qu'espagnole car elle est issue d'une famille mixte). C'est dans cet esprit qu'elle a trouvé le moyen de fabriquer une bière appelée Mayahuel en infusant une Tripel belge avec du Mezcal de sa région natale. Le nom Mayahuel, a été tiré de la déesse aztèque qui est l'incarnation de la fertilité, de la maternité et se manifeste dans l'agave - le cactus à partir duquel le mezcal est fabriqué. Nous avons eu l'idée de la vidéo parce que nous voulions soutenir notre ami, qui, selon nous, a une belle histoire et qui peut montrer le côté positif de l'immigration. Elle a fusionné ses traditions locales avec les traditions locales de sa nouvelle terre. Elle a créé quelque chose d'unique qui peut être partagé. C'est une belle histoire qui, selon nous, devait être racontée.
Merci et bonne route!
Merci.