Music Waves a rencontré le jeune chanteur suisse Nicolas Fraissinet, qui nous ouvre le chemin de son univers musical remarquable, riche et multidisciplinaire.
Nicolas Fraissinet, peux-tu revenir sur ton enfance en Suisse et la manière dont tu as appris le piano très jeune? Qu'est-ce qui t'a poussé ensuite vers le chant?
J’ai commencé tout petit à escalader le piano de la maison et à jouer de petites mélodies sans rien connaître à la grammaire musicale. C’est rapidement devenu mon premier moyen de communication avant d’oser vraiment m’exprimer avec des mots. Le chant est venu beaucoup plus tard, vers l’adolescence, lorsque j’ai commencé à vouloir mettre des mots sur les histoires que je me racontais en jouant.
Tu as été bercé par les musiques de David Bowie, Tori Amos, les Beatles, Björk ou encore Loreena McKeenitt, quels sont les albums de ces artistes qui t'ont inspiré et continuent de t’inspirer?
Pour chacun de ces artistes, c’est assez difficile de parler d’un album en particulier car ce sont plutôt leurs identités musicales qui m’ont fasciné et qui m’inspirent encore. La liberté de
David Bowie, les mélodies des
Beatles, le piano et le jeu de
Tori Amos, les envolées mystiques de
Loreena McKeenitt...
Sur ton book d'artiste, on apprend que tu souffres d'amblyopie, il s'agit d'une déficience visuelle qui affecte la vision d'un œil, Comment le vis-tu au quotidien et as-tu des conseils à donner à ceux qui en souffrent?
J’ai grandi avec cette différence de regard, donc je n’y pense jamais, car cela a sans doute façonné mon identité profonde et mon rapport au monde et à ses images. Je n’ai pas de conseil particulier à donner à celles et ceux qui y sont sujets, sinon peut-être simplement l’idée que cela n’est pas forcément une souffrance.
Tu as également un autre violon d'Ingres, le cinéma, comment t'es venue cette passion au point d'aller l'étudier à l'université et quels sont tes films de chevet et pour quel film toute époque confondue aurais-tu aimé signer la bande originale?
Le cinéma a toujours été une de mes grandes passions, c’est d’ailleurs dans ce milieu que j’ai commencé à travailler avant de découvrir l’incroyable expérience de la scène. Étant adolescent, j’avais prévu de composer les musiques de mes films, et aujourd’hui je réalise les films de mes chansons (sourire). S'il ne faut choisir qu’un seul film à mettre en musique, je triche un peu en disant : tous les films de
Tim Burton !
Comme un David Bowie, tu te réinventes à chaque album. Alors que tu évoluais dans un sillage pop rock, "Des Étoiles Dans Les Yeux", te voient user de plus de saveurs électro, comment ces changements de style n'affectent pas ton travail musical? N'y a-t-il pas un risque de perdre tes fans?
Je tente toujours de garder une patte personnelle dans les différents styles que j’explore. C’est vrai que je ne me considère pas trop comme ''exploitant d’une solution qui fonctionne'' mais plutôt comme ''chercheur de toujours plus loin''. J’aime souvent dire que je ne vends pas un produit, mais que je propose un chemin.
Je ne me considère pas trop comme ''exploitant d’une solution qui
fonctionne'' mais plutôt comme ''chercheur de toujours plus loin''.
Celui-ci tout comme le single serait issu du roman et d'un spectacle, qu'est-ce que cette expérience pluridisciplinaire t'a appris et comment est-elle complémentaire voire nécessaire à ton œuvre?
J’ai toujours été une personne multi-casquettes, et même si j’adore chanter sur scène, ce moyen d’expression ne me suffit pas pour partager toutes mes aventures intérieures. Ce projet ''Des Étoiles Dans Les Yeux'' qui allie musique, scène, films et roman et une manière assez immersive et globale de pouvoir inviter ceux qui le souhaitent à dépasser les barrières d’un seul style ou genre artistique.
Quelles difficultés as-tu rencontré lors du passage de la page à la note, de l'écrit à la musique?
En réalité, tout est arrivé en même temps, donc cela a plutôt été assez spontané. J’écrivais le roman tout en y intégrant des passages de chansons composées en parallèle, sans oublier d’y ajouter quelques descriptions du spectacle à venir.
Pourquoi avoir baptisé ce nouveau single 'T-Rex', alors qu'on entend guère ce terme dans la chanson. Était- ce un hommage indirect à Marc Bolan?
Ah oui ça aurait pu (sourire), mais en réalité j’ai choisir ce titre pour la connotation « royale » et donc omnipotente du roi des dinosaures. Pour moi la proximité phonétique entre T-Rex et Tyran permettait de parler du drame que représente le pouvoir tout en y ajoutant une connotation décalée, poétique et surtout sauvage... comme un T-Rex.
Le piano, les cordes et les sonorités électroniques semblent composer ensemble en harmonie sans donner l'impression de cohabiter brutalement. Était-ce difficile de trouver un tel équilibre?
Cela correspondait plutôt à une envie assez ancienne : mettre ensemble les 3 éléments qui constituent mon ADN. Le piano qui est ma 2ème voix / les cordes comme signature de mon côté « musique de film » et la musique électro avec laquelle j’ai grandi. Si elle ne cohabitent pas brutalement, c’est peut-être parce qu’elles grandissent ensemble depuis longtemps dans mon parcours personnel.
Les paroles de la chanson laissent place à un second degré qui devient soudain glaçant lorsque l'on se rend compte que le protagoniste est un véritable psychopathe. Dans quel état d'esprit étais-tu lorsque tu les as écrites? Est-ce inspiré par un personnage réel et contemporain?
J’ai toujours eu énormément de difficulté à admirer ou à comprendre les personnes avides de pouvoir. Cette chanson fait hélas allusion à beaucoup de personnages politiques actuels ou passés, car cette avidité est bien trop souvent le moteur qui pousse à vouloir prendre les contrôle. J’ai toujours été séduit par le rêve platonicien d’un pouvoir mis entre les mains de personnes qui n’en veulent pas et qui en usent par devoir. Ceci dit, le clip fait clairement allusion au film ''Le Dictateur'', car
Charlie Chaplin est pour moi un modèle de courage. Même si son film est en noir et blanc, il n’a pour moi pas pris une seule ride et reste d’une actualité très déstabilisante.
Le refrain rompt quelque peu avec l'esprit des couplets sonnant très comédie musicale. Était-ce une façon de pervertir le genre de l’intérieur?
J’avais envie d’une cassure entre les couplets et le refrain, pour matérialiser l’écart entre la réalité politique et le vernis séduisant de son discours. On pourrait dire d’une certaines manière que dans le refrain, le politique déclame les promesses joliment mises en forme pour fédérer l’auditoire, et que dans les couplets et la fin, il révèle le fond de sa pensée et ses réels désirs.
Ta voix est d'abord assez charmeuse à l'oreille mais petit à petit au fil du texte, on la découvre pleine de morgue et inquiétante (c'est un compliment). Jean Cocteau disait que Marlène Dietrich avait un nom qui commence comme une caresse et se termine par un coup de fouet, pourrions-nous user de la même formule pour parler de ta voix sur cette chanson ?
Exactement ! C’est peut-être mon côté « fan absolu » du chef- d’oeuvre ''The Wall'' de Pink Floyd dans lequel la voix de Roger Water passe souvent d’une poésie lyrique à quelque-chose de beaucoup plus dark. Cette interprétation un peu lunatique me semblait importante pour accentuer le côté insaisissable et ambivalent des motivations politiques du personnage.
Plus on progresse au fil de la chanson et plus le rythme devient martial, n'as-tu pas eu envie de faire hurler les guitares pour illustrer le chaos que ce personnage crée autour de lui au lieu de l'ordre promis?
Ça aurait été très beau, mais il y avait déjà « beaucoup de monde » avec les cordes et les cuivres. C’était important pour moi de laisser une bonne place aux hurlements de la voix pour donner corps à la décadence presque comédienne de la fin du morceau.
Les paroles laissent place à quelques formules bien trouvées, ''avec mes promesse de hall de gare, tu auras à manger et à boire''. On ressent un amour des mots derrière ce genre de phrases et si tu n'avais pas déjà écrit des livres, il aurait été légitime de te demander si tu n'as pas envie de passer à l'écriture de livre. Comment gères-tu cette abondance de mots, ne crains-tu pas qu'elle vienne s'interposer au détriment de la musique?
J’ai parfois le défaut d’écrire beaucoup de texte pour mes mélodies. Mais je ne sais pas si c’est si mal que cela à notre époque d’être un chanteur qui a des choses a dire. J’ai grandi avec entre autres les chansons de
Noir Désir, dans lesquelles le texte a une place très importante. Je ne me décrirais pas pour autant comme un chanteur engagé, mais édulcorer certains de mes textes me donnerait le sentiment de produire des coquilles vides... et je n’ai pas trop d’affinité avec les coquilles vides. (sourire).
Édulcorer certains de mes textes me donnerait le sentiment de produire des coquilles vides.
Le clip est très plaisant et bien réalisé. On peut t'y voir toiser d'un air narquois et cruel l'auditeur/ spectateur. Tu as l'air à l'aise derrière une caméra, nous rappelant parfois la verve d'un Andy Partridge dans les clips de XTC, souhaiterais-tu également ajouter à ton arc une carrière d'acteur?
Wow merci !! J’avoue que je suis plus à l’aise derrière la caméra, mais cette expérience a été assez incroyable et j’aime voir mes propres limites comme des barrières à repousser. Donc pourquoi pas !
Comment as-tu conçu ce clip, as-tu eu recours à des storyboards ou tu avais déjà tout en tête au moment de pénétrer sur le plateau?
Je travaille d’habitude avec un storyboard et un découpage très précis pour être sûr de ne rien oublier. Dans le cas de ce clip, c’était un peu différent car cela reposait sur un playback ponctué de beaucoup d’impros. On va dire que c’était un mélange de postures planifiées et de gros pétage de plombs.
Pourquoi avoir décidé de réaliser 12 clips des 12 chansons de l'album comme le firent Jethro Tull, The Kinks et Blondie avant toi? Est-ce que tu as envie de redonner gout aux clips, qui ont été dénaturés depuis quelques temps (pour les majors, ils ressemblent de plus en plus à des story instagram)?
J’aime imaginer un clip comme un film qui soutient la chanson mais qui lui donne aussi un sens et une écoute différente. Les 12 chanson correspondent à 12 chapitres du roman qui chacun fait référence à l’un des 12 signes du Zodiac. Les 12 clips sont une troisième manière différente de parler des chansons et du roman et de l’énergie de chaque signe. ( le T-Rex, roi des dinosaures - correspond au signe du Lion ... )
Comment vas-tu défendre cet album sur les scènes de France et de Suisse?
Cet album est sorti en même temps que mon premier roman qui porte le même nom : ''Des Étoiles Dans Les Yeux''. Dans ce roman il est entre autres question d’un spectacle contenant les chanson de l’album. Le spectacle que nous jouons sur scène est directement inspiré de celui décrit dans le roman. Le spectateur a donc le choix de se dire qu’il assiste au spectacle du roman ou qu’il en fait lui-même partie.
As-tu une idée de l'identité sonore du prochain album de Nicolas Fraissinet? Du rock progressif ou du blues?
J’ai beaucoup d’envies assez différentes mais je laisse passer un peu de temps avant de concrétiser tout cela. La pandémie dont nous sortons à peine a en quelque sorte mis les deux dernières années en mode pause, et ce projet ''Des Étoiles Dans Les Yeux'' me semble encore trop jeune pour déjà penser à l’enfant suivant.
Un dernier mot pour nos lecteurs?
S’il lisent ces dernières lignes alors déjà un grand merci d’être restés jusqu’au bout. J’espère que ces quelques mots auront réussi à leur donner l’envie et la curiosité d’aller poser leurs oreilles sur mon projet multi-facettes, multi-styles et multi-supports !