The
Losts a vu le jour en 2010, mais depuis vos débuts vous avez juste
proposé deux albums, dont le nouveau, et un EP. 5 ans se sont écoulés depuis le premier album. Comment
expliquez-vous ce rythme relativement lent ?
The
Losts est un groupe animé
à l’origine par
une envie de s'amuser entre potes en faisant de la bonne musique, en
buvant quelques bières et en faisant des blagues pourries.
Évidemment cela vient en plus de nos vies de
famille,
de nos contraintes professionnelles ou de projets parallèles. Nous
avons débuté en 2010. Mais le groupe s’est lancé un peu plus
sérieusement avec la sortie de l’EP en 2013. A partir de là, nous
avons privilégié les concerts. Le temps de composer de nouveaux
titres, de les enregistrer, "... Of Shades & Deadlands", le
premier album, est arrivé 3 ans après. Nous aurions aimé sortir
"Mystery Of Depths" quelques mois plus tôt… mais c’était sans
compter un changement de
line-up et le contexte sanitaire… Et puis
il y a la question financière… produire un album est un véritable
budget qui nécessite de remplir les caisses entre chaque sortie.
Il
y a une volonté de travail bien fait ou cela est-il difficile quand
on a une vie et un métier à côté de pouvoir se réunir et
travailler sur des compositions et répéter ?
Les
deux mon général ! C'est sûr que ça nous botterait bien de
sortir un disque de reprises de Carlos en black metal avec un son
digne des premiers Burzum. Mais bon, on avait envie de sortir quelque
chose de qualité et ça prend du temps. Les
pistes de batterie ont été faites en avril 2019, puis traitées
pour offrir aux guitaristes/bassiste la meilleure base possible pour
leurs enregistrements. Ensuite, c'est chacun chez soi, avec notre
home studio, après une journée de taf et quand les enfants étaient
endormis que le travail a continué.
Puis est
venue
la phase de mixage avec quelques réarrangements,
l’arrivée de PPG à la basse. Finalement
le disque a été masterisé à peu près 2 ans après les 1ères
prises de son.
Votre
essence c’est la scène, vous avez multiplié les dates dans le
nord de la France et dans les pays limitrophes comme la Belgique et
les Pays-Bas. Quel souvenirs gardez-vous de ces dates avec entre
autres Serenity, Drakkar ou Fireforce ? C’est un rêve de gosse qui
se réalise de pouvoir tourner et présenter sa musique ?
Nous
avons beaucoup de souvenirs de scène, avec tant de groupes que nous
avons rencontrés et avec qui nous avons noué des liens d’amitié,
Drakkar et Fireforce en font partie. C’est toujours un réel
plaisir de se retrouver pour une date. Avec Serenity il s’agissait
d’un festival organisé par Blue Lightning en Belgique, une
organisation méritante qui a proposé pendant plusieurs années des
affiches de qualité mêlant underground et têtes d’affiche plus
mainstream. Dans la musique, le rêve de gosse est un peu partout
quand tu gardes une âme d’enfant : répéter avec ses copains,
enregistrer un disque, faire des photos promos, discuter avec des
fans, recevoir une chronique, répondre à une interview, monter sur
scène… et ce, même si nous n’en sommes bien sûr pas à un
stade où nous risquons d’en perdre la tête !
Vous
avez bossé votre deuxième album pendant cette période sanitaire
délicate, cela a-t-il été difficile à organiser pour les sessions
d’enregistrement ?
Les
sessions d’enregistrement
étaient déjà réalisées en amont. Nous avons profité du
confinement pour mixer l’album, refaire parfois quelques prises de
son pour les besoins de la production, notamment les chœurs que nous
avons gonflés. Nous avons également pris un peu plus de temps pour
nous pencher sur d’autres étapes (comme la confection du livret,
par exemple). Là où le contexte sanitaire a été le plus
handicapant, c’est lorsque nous avons fait face à notre changement
de line-up. Nous avons recherché notre nouveau bassiste et fait des
auditions à distance. Lorsque nous avons trouvé notre perle rare en
la personne de PPG, son accueil a été mouvementé au milieu de ces
périodes de répétitions impossibles. Ceci nous permet de faire les
présentations : PPG est “tombé” dans le heavy metal à l'âge
de 13 ans avec comme premier contact 'Can I play with Madness' d'Iron
Maiden, des sonorités plus rock’n’roll avec des groupes comme
Led Zeppelin, Deep Purple mais aussi un goût prononcé pour le néo-classique tel Uli Jon Roth. Mais son parcours est dense et l’a
amené à jouer dans des genres très variés, bien au-delà du metal.

La
situation permet au gouvernement de légèrement relâcher
la pression, vous pensez pouvoir présenter l’album sur scène
rapidement ? Plus généralement,
comment
vivez-vous cette période sans culture vivante ?
Nous
partageons forcément l’envie collective de retrouver la vie
culturelle. Sortir un album sans pouvoir le promouvoir sur scène est
un sentiment étrange. Il faut réinventer sa promotion. Nous avons,
par exemple, proposé un événement en ligne, le jour de la sortie,
avec une présentation en visioconférence, suivie d’une écoute
interactive de l’album. Avec le "relâchement", nous
espérons au moins pouvoir reprendre un contact assidu avec la salle
de répétition (les 4 membres sont éclatés sur le département du
Nord), pour se préparer à un retour sur les planches dès que
possible. "Mystery Of Depths" le mérite et nous avons tous besoin de
partager à nouveau des choses. Mais comme les établissements qui
proposent des concerts sont encore un peu dans le flou sur les
conditions réelles de leur réouverture, c’est encore compliqué
de positionner des dates.
L’album
c’est "Mystery of Depths". Vous avez travaillé avec une nouvelle
équipe, Phil Reinhalter
et Frédéric Motte, qui a un joli palmarès en termes de groupes
produits, Mercyless, Great Old Ones ou encore Loudblast. Comment un
groupe indépendant totalement comme le vôtre a eu l’opportunité
de bosser avec de tels pointures ?
Nous
avions envisagé diverses pistes pour la production de ce disque mais
l’envie de passer à un niveau supérieur et également d’approcher
un schéma de production davantage tourné vers le metal extrême
nous a poussés à contacter Phil. Ce qu’il avait fait avec
Division Alpha ou Mercyless avait vraiment de la gueule. Les premiers
échanges nous ont confortés dans ce choix, tant sa philosophie de
travail, induisant une véritable direction artistique, nous a
séduits. De son côté, il était emballé par le projet que
représentait cet album. Côté mastering, Phil a un partenariat avec
Frédéric, c’est donc tout naturellement qu’il nous a proposé
ses services. Nous ressortons plus que satisfaits de cette expérience
avec ce duo de choc qui a su mettre en lumière tous les atouts de
notre musique !
Avoir
une équipe comme ça autour de vous, c’est l’occasion de
progresser et d’obtenir un son professionnel digne de vos compos. Mais en même temps, vous n’avez pas eu peur d’avoir un son trop
formaté un peu loin de votre style assez old school ?
Pas
de peur, non, car nous ne cherchons pas à coller à un son précis.
Notre musique prend bien évidemment racine dans des styles qui ont
une longue histoire mais "Mystery Of Depths" a aussi quelques
digressions plus modernes, ne serait-ce que par le jeu en 7 cordes de
DGC (guitares). L’envie de progresser, bien sûr, mais également
celle de proposer une enveloppe sonore différente de nos précédentes
productions, avec un son un peu plus lourd et punchy, ont été des
motivations. Cependant, je ne pense pas qu’on puisse dire que les
productions qui sortent des mains de Phil sont formatées. Il
s’adapte aux groupes, a une patte toute particulière qui donne une
belle personnalité à ses productions et "Mystery Of Depths" en a
assurément bénéficié.
L’album
continue le concept que vous avez développé autour des égarés,
innocents à la base, et qui sont pervertis et souillés par le
contact de l’humanité. Votre regard est très sombre sur notre
société, notre humanité, elle vous semble à ce point condamnée à
plus ou moins long terme ?
La
musique est un exutoire.
C’est surtout ainsi qu’il faut le voir. Nous n’avons pas une
vision si noire de nos contemporains mais nous sommes forcément
atteints par ce dont est parfois capable notre espèce pour survivre.
Les textes développent surtout une curiosité quant à la complexité
et l’imprévisibilité de l’être humain. Plus il évolue, plus
il développe de manières de s'auto-détruire.
Le
côté sombre que l’on retrouve dans nos visuels et notre univers
graphique est un bon moyen de compenser notre trop plein de bonne
humeur ! Tout est affaire d’équilibre.
La
pandémie et ce qu’on voit sur le comportement des gens, le manque
de solidarité général a dû
largement
vous conforter dans ce regard pessimiste ? Je retrouve dans ces
textes et ces thèmes un ton proche de la littérature fantastique,
style Lovecraft ou Poe, vous vous retrouvez dans ces influences ?
La
pandémie a assurément été un terrain d’observation des
comportements individuels et collectifs, et ceci tant dans ses
incidences positives que néfastes. On a tout de même vu de belles
initiatives fleurir. Mais également des manifestations de survie, de
contrôle, de détresse... on ne sait jamais quel démon se terre
dans le noyau le plus archaïque de nos âmes. La pandémie aura en
tout cas bien donné matière à le nourrir.
Si
Poe a bercé ma jeunesse (YGC, chant, guitare), je lis généralement
peu de littérature fantastique. Il y a bien Anthelme Hauchecorne et
son univers steampunk qui m’ont captivé ces dernières années
(Nous nous sommes d’ailleurs échangé quelques messages, nous
amusant du rapprochement de ses “Eveillés” (cf. Les
Âmes de Verre) et
de nos “Egarés”) ; mais pour nos textes, l’inspiration vient
essentiellement de l’observation d’inconforts ténus aux
déséquilibres les plus importants que nous manifestons dans nos
quotidiens. La plupart des textes sont même issus de mes propres
expériences émotionnelles, transcrites de manière exacerbée bien
sûr, pour en faire un conte horrifique.
Le
premier contact avec un disque c’est sa pochette. Et là vous avez
frappé fort, Chadwick St John vous a offert une œuvre remarquable. Comment avez-vous réussi à travailler avec cet artiste qui a bossé
pour Darkthrone ?
Un
beau visuel, ça nous semble effectivement être une entrée
importante dans un disque. C’est donc une étape que nous ne
voulons pas négliger. C’est ainsi que nous avions travaillé avec
Stan W. Decker pour le précédent album. Pour "Mystery Of Depths",
nous avons répertorié quelques artistes que nous aimons
particulièrement, Chadwick en faisait partie, avec notamment la
pochette du “Old Star” de Darkthrone qui nous avait tapé dans
l'œil. Nous les avons tous contactés et Chadwick a remporté notre
adhésion, d’autant plus qu’il s’est montré tout de suite très
enthousiaste et inspiré par les démos que nous lui avons envoyées.
L’approche du dessin en noir et blanc colle très bien à
l’ambiance contrastée qu’on voulait donner à ce disque, entre
envolées lyriques du heavy et aspects plus sombres du black/dark metal. Nous sommes très fiers du résultat !
Et
il a réussi totalement à mettre en image vos textes, je lui trouve
un côté cosmique, mystique même, qui plonge dans les abîmes
de l’âme, avant même d’écouter on comprend l’idée du
disque, c’était le but ? Je lui trouve aussi un côté proche des
œuvres de Giger, avec la même intensité. Vous vous retrouvez dans
cette influence de style mais aussi de pensée ?
C’est
tout à fait ça! "Mystery Of Depths" a une double lecture. Celle de
surface, nous plongeant dans les profondeurs marines les plus
anxiogènes, et bien sûr celle qui se rattache à notre concept :
les abysses de l’âme humaine, comme tu le dis si bien ! Nous avions
envoyé la ligne directrice de nos textes à Chadwick et il a eu
toute liberté (ce qui provoque toujours un petit moment de trac à
la découverte du visuel). Il nous avait cependant dit qu’il voyait
bien où nous voulions en venir… Le résultat nous a montré que
c’était effectivement le cas !
Giger
est une institution dans l’esthétique fantastique, comme "To
Mega Therion" de Celtic Frost pour l'avènement du metal extrême.
Enfants des années 70/80, ses créatures ont bercé notre
imaginaire. Je ne sais pour autant pas si nous pouvons le citer comme
influence. Tu évoquais H.P. Lovecraft tout à l’heure et je sais
par contre que Chadwick avait ce type de visions en travaillant sur
notre visuel.
Musicalement
on retrouve ce que la pochette nous promet, un heavy teinté
de thrash à l’ancienne, épique et proche des anciens comme
Manilla Road, Pagan Altar ou King Diamond. Ce sont des modèles pour
vous, ces formations ?
King
Diamond, assurément en ce qui concerne YGC. Ce n’est pas une mince
affaire de synthétiser nos influences tant elles sont diverses et
très différentes suivant les quatre membres. L’éventail va du classic rock au black metal et c’est un peu ce qu’on essaie
d’instiller dans notre musique. Même si la base est
fondamentalement heavy, on y trouve un peu de doom, de thrash, de dark, de black/death et aussi de musique orientale. PPG (qui a
intégralement réenregistré les parties de basse (à l’exception
de celle de 'Revelation Of The Losts') alors même que l’album
était finalisé) a ramené également beaucoup de sa personnalité,
avec un groove qui apporte vraiment une autre dimension aux morceaux.
C’est
vraiment une plongée dans les années 80 avec notamment Tattoo The
Child’, ‘The Priests Control’ ou ‘Pharaoh’s Curse’. Le
chant aigu typique est là ainsi des parties instrumentales,
totalement dans cet esprit à l’ancienne, et des refrains soignés.
Le but c’est bien de retrouver un certain esprit underground loin
des modes et avec une certaine pureté ?
On
ne se pose pas trop de questions quant aux objectifs de notre musique
mais s’il y a un but, c’est avant tout celui de trouver notre
place dans le paysage metallique et celui de faire une musique dans
laquelle chacun se retrouve et peut exprimer ses préférences
stylistiques, sa personnalité musicale. Il y a effectivement une
plongée dans les années 80 mais on trouve aussi des éléments de
la musique des 70, des 90, voire des années 2000. Nous aimons
retracer certains aspects de l’histoire du heavy metal. Et ceci en
toute liberté, loin des modes, c’est certain !
J’ai
même retrouvé dans ‘Until The End’ et ‘Mystery Of Depths’
un côté plus black, le black des origines de Venom et Mercyful
Fate, là aussi ce sont vos racines musicales ? Je trouve que le
résultat est parfait et qu’on est totalement plongé dans cet
esprit rebelle et indépendant, c’est votre but aussi de faire
vivre cet esprit rebelle ?
Les
groupes que tu cites sont peut-être davantage écoutés par YGC. Même
si l’on
partage ce goût pour des musiques sombres, l’esprit le plus black
du groupe, c’est JCR (Batterie). C’est aussi lui qui se charge
des parties de voix extrêmes. C’est un grand fan de black mais
plutôt celui débutant avec Marduk. Ce qui donne cet aspect
“première vague du black”, c’est sans doute l'association de
sa personnalité avec celles des autres membres, peut-être davantage
tournées vers le heavy metal mélodique ou théâtral. Quant à
l’esprit rebelle et indépendant, nous sommes des metalleux…
c’est un pléonasme ;-)
’Inner
Wounds’, avec son chant notamment, m’a fortement rappelé Megadeth,
celui rageur des débuts. C’était l’idée de retrouver le son et
la hargne de Dave Mustaine, c’est un hommage à ce qu’a amené le
groupe au thrash et au heavy metal en général ?
Megadeth
est une influence un peu plus commune aux membres du groupe et YGC
est un grand fan alors quand DGC a ramené ce riff speed, YGC a très
vite eu l’envie de poser ces grommellements caractéristiques
dessus... Alors oui, là il y avait la volonté de faire un bon clin
d'œil à Mustaine. C’est tout de même l’un des grands parrains
du riff !
Enfin
‘The Sand War’ évoque l’évacuation de Dunkerque en 1940, il me
semble. Parler de ce moment fort de l’histoire de notre pays et de
la région Nord, c’était important pour vous ?
C’était
d’autant plus important qu’YGC habite Dunkerque et que le texte
est basé sur les extraits des mémoires de guerre de Pierre
Callipel, le grand-père de DGC et YGC. Il y a donc une portée
émotionnelle importante. Ces extraits sont d’ailleurs lus en
clôture d’album par Rémi Vincent, un comédien de la compagnie de
théâtre dunkerquoise “les Artmateurs”. 'The Sand War (May 1940)' est l’une des rares chansons à sortir du concept des Égarés…
même si on peut y trouver des connexions.
Il
en ressort un titre différent des autres, plus théâtral, à la
fois sombre et mélancolique, plus mélodique aussi, une bonne synthèse de vos influences. Comment l’avez-vous travaillé ce titre, vous
sentiez qu’il était un peu à part dans le disque ? C’était important pour vous d’avoir une longue pièce dans le
disque, vous pourriez proposer à l’avenir plus de titres de ce
genre ?
Il
est un peu à part de par la teneur du texte mais musicalement,
beaucoup de nos morceaux ont leur propre identité. De ce fait,
au-delà de la particularité de sa narration finale, nous n’avions
pas spécialement perçu ce titre comme si particulier. Merci en tout
cas de nous livrer ici tes impressions. 'The Sand War (May
1940)' est peut-être un peu plus dans l’esprit évolutif de
compositions antérieures comme 'Never Come, Never Gone' ('...
Of Shades & Deadlands') ou 'Mr The Fake' ('No God, No
Devil'), avec une accalmie centrale. Nous avons auparavant déjà
proposé des titres un peu plus longs, nous en proposerons sans doute
encore à l’avenir, même si nous avons tendance avec le temps à
réduire la durée de nos titres à des formats plus facilement
digérables. Nous verrons bien ce que nos esprits torturés nous
réservent pour la suite!
Merci
à toi pour cette interview très riche!