Music Waves a interviewé Thomas Noël l'homme qui se cache derrière le nom fantomatique de Bodie (pour rappel Bodie est une ville fantôme californienne) pour la sortie de son premier album. Un étincelant et paisible voyage au long cours.
Tu avais enregistré un premier EP en 2013 que tu as réactualisé en 2016 et 3 ans plus tard, tu nous reviens avec ton premier album. Pourquoi tant de temps, es-tu un éternel insatisfait qui a besoin de corriger sans cesse son œuvre avant de la trouver valable et digne d´être publiée?
Oui et non, j’ai effectivement mis quelques années pour achever les morceaux de cet album pour livrer ce que j’avais exactement en tête. Il m’a fallu prendre du recul et en mettre certains de côté pendant un moment pour pouvoir y revenir. Quatre morceaux ont étés composés avec Hugo Moerman qui m’épaule dorénavant dans ce projet musical : 'The Journey', 'Here Comes The Light', 'The Milky Way' et 'Do Not Stand At My Grave And Weep'. Durant cette longue période entre l’EP et l’album j’ai appris à accepter les idées extérieures et à donner un peu d’espace aux personnes souhaitant entrer dans mon univers. J’ai fait appel à Jean Deflandre pour les parties de batterie, qui a réalisé un merveilleux travail malgré son planning musical très chargé. J’ai voulu être sur tous les fronts y compris dans le mixage de cet album, ce qui m’a pris énormément de temps mais n'a pas été concluant (rires). J’ai finalement laissé cette étape à un studio qui a formidablement su aller là où je voulais, ce qui m’a permis d’être un peu moins
control freak (rires)
Le premier morceau nous plonge dans un monde sur le point de sortir de son sommeil. Etait-ce voulu de placer ce morceau relaxant d'entrée de jeu pour montrer le départ?
Oui, effectivement. Je voulais que le premier morceau soit une entrée dans l’univers global de l’album. Comme un doux réveil ensoleillé.
On a l´impression que tu égrènes les arpèges sur ta guitare à la recherche d'une voie royale. Quelle est la part d'improvisation dans ton travail?
J’essaye d’aller le plus possible à l’essentiel et de ne pas spécialement compliquer les morceaux quand je compose. Les seuls moments d’improvisation que je peux avoir sont au moment de la recherche d’une mélodie à la guitare en laissant les arpèges défiler au hasard ou lorsque je commence à poser ma voix.
Peut-on parler de concept-album qui nous ferait parcourir un trajet assez défini par les titres et les atmosphères?
Malheureusement non, car ça n’est pas spécialement l’idée de cet album. Pour moi chaque morceau se suffit à lui même. Suite aux quelques années passées dessus, il y a peu d’intentions similaires dans la composition de ceux-ci. Cependant j’ai voulu respecter une certaine courbe dans la progression de l’écoute pour garder mon intention de donner à l’auditeur un sentiment de traversée, d’un voyage vers un ailleurs.
J’ai voulu respecter une certaine courbe dans la progression de l’écoute
pour garder mon intention de donner à l’auditeur un sentiment de
traversée, d’un voyage vers un ailleurs.
Créer ce monde ensoleillé est-ce une façon de se protéger d'un monde agressif ?
Pas spécialement, non. Je pense que j’aime créer et donner aux gens un tout petit brin de lumière. Je ne pense pas qu’il faille absolument se protéger du monde, agressif ou non, mais l’accepter tel qu’il est et y rechercher le beau par tous les moyens.
La deuxième piste 'Rise' est un peu plus active, The Grave s'anime d´entre la torpeur, 'Here Come The Light' se révèle sous la lumière avec ces chœurs célestes. Comment as-tu cherché un équilibre entre douceur et dynamisme (avec certains morceaux qui culminent en crescendo) ?
J’ai voulu varier la nature des morceaux de l’album pour qu’il soit plus digeste à écouter. Personnellement je peux rapidement m’ennuyer à l’écoute d’un album quelconque si j’ai l’impression que tout se ressemble. Donc j’essaye de ne pas tendre vers ça.
Sur 'Rise', il y a un très beau travail sur la voix, avec on l'imagine une voix féminine. Peux-tu nous parler de ce travail de voix tout au long de l'album, le doublement suggère-t-il des présences fantomatiques qui t’accompagnent?
Cela n’est pas la première fois que l’on me dit entendre des voix féminines dans les morceaux, ce qui m’amuse un peu je dois l’avouer car elles sont toutes de moi (rires). J’ai beaucoup travaillé sur ma voix dans cet album et essayé de varier les grains et placements. Je n’ai pas une voix très puissante ni grave, ce qui m’a toujours frustré je l’avoue, j’ai donc pris le parti de travailler l’inverse, ma voix de tête (rires). Mais cela me va car je peux m’amuser à placer certains chœurs hauts perchés, noyés dans une réverb sur certains morceaux. Je suis très friand des B.O de westerns avec ces voix incroyables qui vous emportent. Je m’en inspire assez souvent.
Dans notre précédente interview tu parlais de ne pas attaquer de front le rock progressif mais pour quelles raisons ne voulais-tu pas t'y aventurer ? Peur de ne pas être prêt ou peur de ne pas être pris au sérieux (ou trop au sérieux)?
Je ne sais pas trop, j’ai énormément de respect pour ce genre musical et ces gros groupes comme
E.L.O,
Pink Floyd ou
King Crimson mais je ne pense pas spécialement m’en rapprocher de par la plus grande influence folk ou traditionnelle dans mes morceaux. J’incorpore seulement quelques éléments de rock progressif dans les morceaux un peu plus fournis où j’aime y ajouter beaucoup d’instruments différents et créer cet effet de crescendo. En soi je pense que c’est une question de volonté de ne pas trop y tendre pour rester honnête avec ce que j’ai envie de donner à écouter, plus qu’une question de peur quelconque.
D'autres morceaux 'The Kiss' ou 'The River Of No Return' se placent au plus près de l'auditeur comme si tu montrais qu’il n’y avait pas d’artifice et que tu t´adressais directement à lui (ou à elle en ce qui concerne 'The Kiss'). Qu'est-ce qui t'a poussé à créer cette chaleureuse intimité?
(Pour cette question je ne vais pas parler du morceau 'The River Of No Return' car il ne fait pas partie finalement et à mon plus grand regret de l’album pour une question de droit pas encore acquis). J’adore ce genre de morceaux et pour moi créer un cocon et une intimité avec l’auditeur est de plus en plus primordial dans ma vision musicale.
Elliott Smith m’a beaucoup influencé pour ce côté tout comme
Simon & Garfunkel ou
Leonard Cohen qui ont ces doux morceaux d’une étrange simplicité qui viennent directement nous parler.
Tu as choisi l'anglais parce que tes inspirations étaient britanniques (c'est pour cette raison que l'on t'avait posé une question sur l'Angleterre lors de la précédente interview). Est-ce qu'un album comme "The Geese and The Ghost" d'Anthony Phillips ou certaines œuvres de Jethro Tull exercent une influence sur toi?
Je ne connaissais pas
Anthony Philips et cet album donc merci pour la découverte, il est vraiment très beau. Cependant mes inspirations viennent plus de musiques celtiques, folks, rocks, bluegrass ou même du bagage de guitare classique. Je dois avouer qu’étant un grand fan des
Beatles,
Radiohead,
Elliott Smith,
Nick Drake ou
Neil Young entre autres, je suis plus facilement influencé par ces groupes.
On admire le jeu étincelant de guitare sur 'The Milky Way', est-ce que tu as pensé à une symphonie intégralement instrumentale sans chant et mélopée?
Ça pourrait être une belle idée ! La base de la composition de ce morceau a été la rythmique et ma partie de guitare sur laquelle j’ai très rapidement trouvé mes parties vocales. Il m’a fallu beaucoup de temps pour en être satisfait et arriver à une composition intéressante. Hugo m’a été d’une grande aide pour ce morceau.
'When The Flowers Grow' avec sa mandoline entêtante et son énergie mid-tempo, c'est le morceau de choix. La chaleur finit par nous envahir, la guitare se fait plus dynamique et on a l'impression d'assister à une vraie explosion de lumière, que tu nous contes une histoire qui progresse, l'auditeur pouvant suivre chaque mouvement. Est-ce que ce morceau pourrait être celui que tu ferais écouter a ceux qui n’ont jamais entendu une note de toi?
Oui bien sûr, je pense qu’il reflète bien une partie de l’univers de
Bodie en effet, et je suis très content qu’il plaise autant car il me tenait à cœur.
Comment composes-tu les chansons? Qu'est-ce qui t'inspire et comment trouves-tu l'inspiration?
Je commence la plupart du temps par la partie instrumentale, à la guitare, lorsque je n’ai pas d’idée précise, puis ajoute des couches petit à petit avec les voix. Je n’ai pas spécialement de recette particulière pour composer. Je prends généralement beaucoup de temps pour savoir ce que je veux, si j’ai envie de faire un morceau avec un peu plus qu’une guitare et une voix (rires). Autrement pour les morceaux plus simples, j’essaye la plupart du temps de trouver les paroles alors que je recherche ma partie de guitare. J’accorde beaucoup d’importance à la sonorité des mots et essaye de faire en sorte qu’il y ai une certaine « symbiose » auditive entre la musique et le chant, si on veut. Au niveau de mes inspirations, je marche beaucoup à l’image. J’essaye de me souvenir, ou d’imaginer, un bel endroit qui pourrait définir graphiquement le morceau. Qu’il s’agisse d’une falaise agitée par la mer bretonne ou d’un coucher de soleil sur une colline fantasmée du Missouri, la nature et son côté brut est généralement un bon point de départ.
Qu’il s’agisse d’une falaise agitée par la mer bretonne ou d’un coucher
de soleil sur une colline fantasmée du Missouri, la nature et son côté
brut est généralement un bon point de départ.
Pour la tournée de promotion de cet album, seras-tu seul en scène?
La plupart de temps nous serons deux pour simplifier les choses, ou seul si personne d’autre n’est disponible.
Ultime question : peux-tu nous révéler l´identité de la mystérieuse Frances?
Il s’agit d’un morceau dédié à ma grand-mère Françoise.