L’année 2020 nous offre un anniversaire de taille à célébrer. Il y a
quarante ans paraissait le premier album du groupe le plus étrange
que le monde de la musique ait porté, Killing Joke, ce groupe
caméléon qui a exercé une influence visible et invisible sur bien des
formations de tous horizons (post-rock, gothique, électronique, dub,
metal-indus, rock voire pop) sans parfois en avoir été conscients.
Ouvrons donc le dossier Killing Joke, que nous parsèmerons de
quelques témoignages inédits (évidemment authentiquement
truqués, mais “Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la
légende.” [in "L'homme qui tua Liberty Valance'' de John Ford]).
Par un matin d'octobre 1978, huit yeux se posent sur une petite
annonce parue dans le respectable magazine Melody Maker : ''Vous
souhaitez faire partie de la blague qui tue? Publicité totale - Anonymat
Total - Exploitation Totale''. Les quatre cerveaux ordonnent alors aux
huit pieds de les conduire au rendez-vous : les locaux d'une société
d’import-export. Les quatre garçons, pour la plupart encore dans leur
âge tendre, se retrouvent face à des instruments de musique. Leur
mystérieux interlocuteur ne refera plus jamais reparler de lui. Mais
qu'importe, les jeunes gens se sentent investis d'une mission moitié
sérieuse (on parle quand même de morts de rire, contrôlés par un
invisible agresseur...) moitié potache (cf le célèbre sketch des Monty Pythons) qu'ils
comptent bien mener à son terme.
Aussi Geordie Walker, gaillard blond au visage taillé à la serpe,
étudiant en tabacologie, s'empare d'une guitare ; le grand Paul
Ferguson, au visage poupon, se dit qu'il est préférable de ménager
ses efforts et s'assied derrière les fûts ; Martin Glover, grand amateur
de coiffures improbables, porte son dévolu sur la basse et joue au jeu
de l'anonymat en devenant Youth. Alors que les claviers sont vacants,
Jeremy Coleman essaie de les rejoindre discrètement. Mais trop tard,
Youth a déjà dégainé sa réplique : ''Jaz, tu es arrivé le dernier, c'est toi
qui chantes!'' Jaz traîne des pieds et invente de surcroît l'une de ses
plus célèbres danses, comme s'il piétinait le monde sous ses pieds.
De concert, Geordie et Youth accordent leur guitare et basse un ton
en-dessous. A l’origine, une légende urbaine expliquait que cette astuce leur permettait de boire plus rapidement leur bière, mais la rumeur est fausse : l'orge ne saurait en rien être à l'origine de ce son à la fois sale, menaçant et aérien...
''Killing Joke, c'est comme un soldat de la Première Guerre Mondiale.
Il est dans la tranchée, il sait que sa vie est finie et qu'il va mourir ... et
soudain il réalise qu'un connard de Westminster s'est foutu de lui :
“Pourquoi je fais ça ? Je ne veux tuer personne, on me contrôle
l’esprit.” " Jaz Coleman (mai 1979)
1980 Killing Joke
En 1979, le punk est aussi vivant que son exubérante mascotte Sid Vicious. Cette plaisanterie de collégiens n'a que trop duré, il est temps pour la Blague Qui Tue de se déployer. Sur son premier EP ''Turn To Red'' le groupe révèle son intérêt pour le métissage des genres. Une pincée de punk, une poignée de rock, un petit peu de funk, des fanfreluches dumb, voilà qui ferait danser la gigue à un soldat dans une tranchée de Verdun ! Le célèbre DJ John Peel leur offre de généreux temps de passage sur les ondes. Ce galop d'essai est l'étincelle qui allumera la mèche de la blague meurtrière. Les quatre hommes sont bien conscients que leur recette est explosive. Durant l'été 1980, alors que leurs concitoyens tentent vainement de bronzer sur les frileuses plages de Brighton ou de Bournemouth, Killing Joke soutenu par son label E.G. enregistre sa bombe. Document inédit, nous sommes dans les studios Marquee en pleine séance de brainstorming…
Youth - J'aime beaucoup tes paroles, Jaz. Ça donne des frissons, je me demande où tu vas trouver tout ça.
Jaz - "Tout ça" se trouve en face de nous, pour peu qu'on veuille ouvrir les yeux.
Youth - C'est bien joli, mais tu sais, il y a quelque chose qui me chiffonne.
Geordie - Quoi? On a plus de clopes?
Youth - C’est pas ça, je trouve qu'en termes de construction, on manque d'équilibre entre les couplets et les refrains, pas vrai, Paul?
Big Paul - ....
Jaz - Lorsque le chaos s'avance à grandes enjambées, il est illusoire de rester droit dans ses bottes.
Youth - Cette chanson que tu as écrite, 'Requiem', c’est quoi ton refrain?
Jaz - Sur le refrain, je crie "The…Requiem".
Youth - Comme le titre?
Jaz - C'est un manifeste : je précise que la terre vient de s'arrêter de tourner et que les aiguilles du temps s'inversent.
Youth - Et pour le refrain de 'Wardance'?
Jaz - Pour le refrain, ce sera "The Waaaaaardance".
Youth - Tiens, tiens...
Jaz - C'est un programme : j'invite les gens à danser sous les bombes.
Youth - Pour 'Complications', tu...
Jaz - C'est un constat : si je ne précise pas 'Complications' sur le refrain, les auditeurs ne vont pas comprendre la subtilité de mon analyse.
Youth - Et en ce qui concerne 'The Wait'?
Jaz - Innovons, on va faire seulement des "Oh Oh Oh", c'est le cri de l'homme en proie à la blague qui tue.
Youth - Ok… tu sais, ce morceau 'Bloodsport' qu'on a composé avec Paul et Geordie, eh bien on se passera de paroles!
La face du monde devait s’embraser, à l'image de la pochette qui révèle de jeunes manifestants de Derry sur un mur, échappant aux salves de gaz mortelles de l'armée britannique. D'entrée de jeu sur
'Requiem', Jaz joue une note martelée ad nauseam sur son clavier, comme le glas qui guette un monde en train d'expirer, Geordie tourbillonne avec son mur de guitares qu'il bâtit brique par brique, Paul martèle ses fûts avec l'inspiration chirurgicale d'un sorcier africain, Youth se sert de sa basse comme d'une mitraillette. Jaz prend un ton alarmiste sur les couplets tandis que sa voix trouve quelques accents de frénésie, comme s'il se faisait le témoin rigolard d'une catastrophe inévitable. La suite de l'album est du même tonneau… de dynamite ! 'Wardance' se danse sur les décombres (sur la pochette du single, c'est Fred Astaire qui se déhanche sur un champ de bataille), 'Tomorrow's World' est une douche froide qui pique l'épiderme, 'So36' a le visage de l'horreur au ralenti. Mais la Blague Qui Tue ne fera guère s'esclaffer dangereusement le monde : ce premier album intitulé -sans surprise aucune - ''Killing Joke'' ne crée guère d'émoi parmi la foule d'un monde policé : ''Killing Joke'' n’atteint que la 39ème place des charts dominés par le ''Zenyata Mondatta'' de…
The Police.
1981 What's THIS for...!
Mais le groupe est prisonnier d'une logique commerciale avec planning et
deadline à la clé. E.G. renvoie donc Killing Joke le plus vite possible en studio. Peu de place pour l’inspiration, alors plutôt que de corriger le tir, on va bien insister sur la première salve : Sur ''What's This For'', Killing Joke, le groupe, autoplagie ''Killing Joke'', l'album. Certes, les morceaux sont efficaces,
'Unspeakable' nous plonge au plus profond d'une insoutenable séance d'exorcisme, 'The Fall Of Because' crache sa morgue. Malheureusement, les autres nouveaux-nés accusent trop de parenté avec leurs aînés. 'Follow The Leaders' marque moins que 'Requiem', le refrain de 'Madness' verse dans l'autoparodie involontaire. Comme si les blagues les plus meurtrières étaient les plus courtes et ne fonctionnaient qu'une fois. Cette copie prenante mais moins explosive est 42ème dans les charts, loin derrière ''Disco Daze And Disco Nites'' : tout un symbole.
1982 - Revelations
Plutôt que de faire exploser un joli champignon atomique sur le monde de la musique, Killing Joke revoit ses plans d'invasion barbare à Cologne en compagnie du sorcier Conny Plank (
Kraftwerk,
Ultravox,
Eurythmics). Si les effluves de la Blague Qui Tue ne passeront pas par les nuages, le groupe choisit avec "Revelations" de verser dans la géologie. On lui accorde cette fameuse phrase décrivant parfois la voix de Jaz Coleman : ''le bruit que ferait la terre qui vomit'' (écoutez bien 'The Hum' de 2'56 à 3'05). Les spéléologues amateurs devront prendre garde lors de la descente à l’intérieur de ce nouvel album : au programme, glissements de terrains ('The Pandys Are Coming', la basse et la guitare à l'unisson pour nous faire assister au débarquement), éboulements soudains (la façon de Jaz de hurler sur le refrain de 'We Have Joy', gelant la note comme il le fera plus tard), terreurs nocturnes (le jeu de basse de Youth sur 'Chapter III', le rampant 'Good Samaritan' qui n'explose jamais) cordées qui se rompent malicieusement ('Chop-Chop', 'Have A Nice Day') voire éruptions volcaniques (l'intégralité de l'album). Sans le savoir, Jaz et ses copains avancent cependant en terrain miné… l’album ne contient pas de tube en puissance (le single
'Empire Song' se classe toutefois 43ème dans les classements de single), mais le succès pointe le bout de son nez : "Revelations" arrive 12è dans les charts UK. Toutefois l’apocalypse ("révélation" en grec) ne surgit pas où on l’attendait : soudain, alors que le groupe devait apparaître sous les
spotlights :
Geordie - Je sais pas, il m'a sorti un tas de trucs comme quoi c'était l'Apocalypse et qu'il fallait tous se barrer sur une île.
Youth - Quoi? Wight? Man? Pas Malte quand même?
Geordie - Je ne sais plus, mais quelle importance?
Youth - Je te signale qu'on passe dans Top Of The Tops dans 24 heures pour 'Empire Song' et qu'on n’a pas de chanteur!
Paul - Pas grave, je connais un roadie qui pourrait le remplacer.
Youth - Si on pense à la même personne, il ne lui ressemble pas!
Big Paul - On lui mettra...une combinaison anti-atomique !
Youth - Quoi? Et qui va chanter?
Big Paul - C'est du playback, je peux m'en charger!
Craignant l'imminence d'une guerre nucléaire, Jaz le prophète épouvanté s'enfuit se mettre à l'abri. Il trouve bien refuge dans une île : l'Islande. Quelque temps plus tard, Geordie et Youth retrouvent sa trace et finissent par se laisser persuader de l'approche de l'apocalypse atomique. Les jours passent et le ciel arbore toujours son calme azuréen…
Geordie - Passe-moi une bière.
Youth - Mais enfin, Jaz, d'après tes calculs, l'Apocalypse devrait déjà être là. Où sont les immeubles en flammes, l'Alpha et l'Oméga, la Bête et l'Etang de Feu?
Jaz - Ce n'est pas une question de calculs. Les signes parlent en notre faveur, bientôt sera ouverte une porte céleste qui interrompra le cours du temps et nous fera dévier vers un nouvel Age d'Or où nous devrons nous nettoyer de nos scories humaines et trouver notre ange-gardien.
Youth - Mais enfin Geordie, tu crois à toutes ces balivernes?
Geordie - Bien sûr. Ce que dit Jaz est toujours enrichissant.
Youth - Ah oui, c'est pas parce que Jaz a rempli une cave à bière?
Jaz - Pour survivre, il nous faudra d'abord réapprendre à vivre.
Youth - Je me demande bien pourquoi Big Paul n'est pas là.
Geordie - C'était pas toi qui devais le prévenir?
Jaz - Pas la peine de le prévenir. Killing Joke n'a plus lieu d'être puisque la catastrophe va arriver.
Youth - Ah c'était ça, monsieur Coleman a quitté le groupe! Et bien, moi j'en ai marre, je rentre à Londres!
Dans les cavernes du temps, Killing Joke répète avec des groupes locaux en guise de dernière danse avant la gerbe de champignons. Quelqu'un finit par joindre Big Paul qui rapplique dare-dare en Islande. Les semaines passent et il faut bien se rendre à l'évidence, aucune catastrophe ne pointe le nez à l'horizon. Mais Jaz ne se met pas en colère contre lui-même : s'ils n'ont rien vu venir, c'est qu'elle a déjà eu lieu dans l'indifférence la plus totale. Killing Joke a pour mission de se reformer pour annoncer la grande nouvelle. Cependant Youth ne lâche pas le morceau et ne rentre pas au bercail… un nouveau bassiste doit donc être trouvé. Qui sera le nouveau corbeau de mauvais augure? Un œil distrait jeté sur la liste des participants trouve le candidat idéal : Paul Raven, un ange à la figure de gangster.
1983 - Fire Dances
De retour à Londres, Killing Joke repart sur de bons rails avec des morceaux aussi rageurs que 'The Gathering' ou 'Fun And Games'. La séance d'exorcisme post-apocalyptique se poursuit avec ce son tribal écorché mais grande nouveauté, la basse de Paul est beaucoup plus rebondissante pour ne pas dire dansante que celle de son prédécesseur. La marche à suivre ne peut être interrompue dans ce monde où baigne la folie : rythme dérangé et alarmant de 'Song And Dance' sur lequel Jaz chante d'une voix plus douce, rythme plus mécanique d' 'Harlequin' ou encore les percussions stridentes de 'Dominator'… Heureusement les voix nous rassurent, il suffit simplement de descendre dans les rues et de hurler à l'unisson à la mort de l'humain. Se dégage toutefois une dimension plus mélodique avec
'Let's All Go (To The Fire Dances)' qui nous invite à nous purifier sur le bûcher de nos vanités tel un bonhomme de carnaval. Dans le clip, on découvre les premières postures iconiques de Killing Joke : Jaz généreusement maquillé comme le Joker de Batman (rappelons qu'Alan Moore bâtira en 1988 son album sur le personnage du Joker, ''The Killing Joke''), la posture faussement nonchalante de Geordie et celle plus menaçante de Paul Raven. A l'inverse, on s'amuse à découvrir Paul Ferguson retomber en enfance, s'amusant comme un fou avec une toupie ! ''Fire Dances'' se classe 29è, à quelques encablures de
Yazoo,
Wham et
Michael Jackson.
''Pour vous dire la vérité, j'ai dépassé la phase où je m'appuyais totalement sur des principes irrationnels comme l'astrologie, dorénavant je trouve que c'est notre volonté qui est plus importante. La détermination peut changer les choses. J'ai vu des gens dont la vie était totalement déterminée par l'astrologie et l'interprétation des événements, et je pense que c'est un non-sens. Bien que je ne puisse pas nier qu'il y a quelque chose dans l'astrologie, je pense que le pouvoir de notre volonté peut nous mener là où nous voulons aller.'' Jaz Coleman (juillet 1985)
1985 - Night Time
Deux ans après les appels de renaissance enflammée de ''Fire Dances'', Killing Joke fait peau neuve. Délaissant ses aspects tribaux, le groupe creuse un chemin plus mélodique dans les ténèbres, sans pour autant se renier. Jaz hurle moins à la mort qu'à l'accoutumée et adopte une voix plus claire, déclamant parfois (ce qui ne diminue guère l'aspect dangereux et menaçant). Les claviers joués par Jaz en personne prennent une place plus centrale et révèlent une face plus étincelante comme un soleil de minuit ('Europe', les ballades 'Love Like Blood' et 'Multitudes'). Les riffs de Geordie sont également plus lumineux mais prennent toujours à la gorge ('Eighties', 'Darkness Before Dawn' ou 'Tabazan' qui a des airs metal). Les refrains sont bien plus mélodiques que par le passé, Geordie n'hésite plus à intervenir vocalement sur ceux-ci.
Les paroles des chansons moins évasives que sur le précédent album se font parfois un peu plus à charge (dans le clip d'
'Eighties', Jaz déguisé en tribun, brocarde plusieurs personnalités politiques de cette époque). 'Love Like Blood', comme symbole du renouveau, devient un tube (16ème dans les classements de single dominés par
Elaine Paige et
Barbara Dickson 'I Know Him So Well'), et ''Night Time'' sera 11ème dans les charts anglais dominés par
Phil Collins et
Tears For Fears (la meilleure performance du groupe à ce jour). A l’inverse, le single 'A New Day' qui n'a pas eu droit d'asile sur l'album fait un peu mieux (56ème) qu' 'Eighties' (60ème). Notons que la pochette de ''Night Time'' verra pour la première et dernière fois le quatuor intégralement réuni. Cet album, une piste en particulier, refera parler de lui.
Prenons la DeLorean et programmons l'année 1992 :
E.G. Manager - Si je vous ai tous les quatre réunis dans mon bureau, c'est pour vous faire écouter ce morceau que j'ai reçu à l'instant même. Vous l'auriez sûrement entendu par la suite, mais je voulais en profiter pour vous annoncer la marche à suivre. (il passe 'Come As You Are' de Nirvana)
Geordie - Hé mais, c'est le même riff que 'Eighties'.
Jaz - Voilà qu'on a fait des émules!
Paul Raven - Des émules? ça va leur valoir un paquet...
E.G. Manager - Non, Paul.
Jaz - Comment? ça ne va rien leur coûter?
E.G. Manager - Absolument rien, comme vous le savez, Nirvana est à l'heure actuelle le groupe numéro 1 en Amérique. Si l'on entamait des poursuites, elles auraient le même effet qu'une chiquenaude sur l'orteil d'un géant. Pour éviter un effet boomerang, je vous recommande le calme, la discrétion et l'humilité.
Jaz - Et si l'on refuse?
E.G. Manager - (il passe 'Life Goes On' de The Damned)
Geordie - Moi, je ne trouve pas que ce soit si ressemblant que ça...
''C'est notre album le plus émotionnellement explosif.'' Jaz Coleman (février 1985)
1986 - Brighter Than A Thousand Suns
Sur un fond noir, un visage de lune tourmentée espérant capter des yeux une étincelle de lumière. Tirant son nom de l'explosion de Little Boy sur Hiroshima, ''Brighter Than A Thousand Suns'', poursuit la marche vers la rédemption. A la différence que Killing Joke semble renoncer à ce son brut de décoffrage et offre une panoplie atmosphérique mais encore tourmentée (l'album a été enregistré dans une Berlin encore balafrée). Le single
'Adorations' est le parangon du nouveau Killing Joke, faisant voyager à travers un monde de cristal endormi qui finit par s'éveiller au son du triumvirat guitare/basse/batterie. Jaz fait valoir une voix mélancolique, les claviers se font soudain apaisants et Jaz déclame un refrain chaleureux : "Les modèles que je trouve/Alors que la douleur, la joie et le chagrin se mêlent/Les modèles que nous trouvons/Nos visages s'élèvent en adoration.'' Le groupe entre de plein pied dans la new wave, avec ses synthés ('Sanity'), ses refrains héroïques ('A Southern Sky' alors que ses couplets sont des pièces d'orfèvre). Les guitares sont plus aériennes, le jeu de batterie toujours frénétique quoiqu'en retrait.La fureur peut parfois resurgir sur la deuxième face avec des titres comme 'Wintergardens' ou 'Rubicon' qui auraient pu figurer sur l'album précédent. Les textes sont denses et parlent de spiritualité et de mémoire. A noter la durée de l'album (1 heure dans sa version CD), plus conséquente qu'antan.
Les mauvaises langues trouveront qu'après avoir vilipendé le monde, Killing Joke est finalement rentré dans le rang, séduit par les sirènes des
charts en se noyant sous d'immondes
reverbs commerciales (et il est vrai qu'EG qui va vendre son poulain à Virgin remixera les bandes sans le consentement du groupe). Killing Joke ne s'est pourtant pas vendu au plus offrant et poursuit sensiblement sa mutation vers un nouvel âge, l'étape ici présente étant plus sereine, plus mature peut-être. Hélas les mécontents se font plus nombreux et l'album n'est que 54ème dans les charts, loin de... ''Kids Party Hits''!
1988 - Outside The Gate
''A trop user de synthés, on finit par se prendre les doigts dans la porte''. L'adage est un peu cruel pour cet ''Outside The Gate''. A l'origine, Jaz devait sortir son premier album en solo. Son enthousiasme le dépasse très vite et le voilà qui commande de nouveaux équipements, en particulier des synthés, sans regarder la facture. Sa maison de disques, qui voyait d'un mauvais œil toutes ces dépenses, l'oblige à sortir l'album sous la bannière Killing Joke pour être rentable. Jaz parvient à convaincre ses comparses de retourner en studio. Quoique...
Big Paul - Ça y est, Jaz!
Jaz - Quoi?
Big Paul - Ça y est! On est en plein dedans.
Geordie - Mais dans quoi, Big Paul?
Big Paul - Je vais pas te faire un dessin. Mais je croyais que ''Brighter Than A Thousand Suns'' était l'album posé de Killing Joke.
Jaz - Hier tu disais encore que tu prenais plaisir à le réecouter.
Big Paul - Là n'est pas la question. C'est bien d'avoir fait cet album avec des synthés. Mais je croyais que ce n'était qu'une parenthèse. Aujourd'hui, tu étales tous tes synthés partout, ça dégouline. On est devenu des Duran Duran! Tu ne veux pas qu'on pose torse nu sur les couvertures des magazines pour midinettes? J'en ai ma claque de tous ces synthés, on ne m'entend plus, on n’entend plus Paul, on n’entend plus Geordie.
Geordie - Rassure-toi, mon gars, tu m'entendras toujours.
Big Paul - Bon, ce n'est même pas la peine de trouver à vous raisonner. Je me barre. (il claque la porte)
Jaz - Vous en faites pas, on trouvera bien quelqu'un d'autre. Tu viens Paul? On a du boulot.
Paul Raven - Au fait, je voulais vous dire, rayez mon nom des crédits, moi aussi j'en ai marre des synthés!
La folie des claviers a donc gagné Killing Joke… Principale victime : Geordie Walker dont le son de guitare est englouti sous les flots électroniques.
'America' avec ses notes de synthé 80's rappelle une version cauchemardesque du 'Jump' de
Van Halen. Le morceau se démarque grâce au ton sarcastique anti-Amérique (dans le clip, Jaz est coiffé d'un chapeau de l'oncle Sam) et aux chœurs assurés par Geordie sur un refrain rachitique. A priori libéré du cahier des charges Killing Joke, Jaz arpente avec enthousiasme de nouveaux territoires sonores : rap ('Stay One Jump Ahead'), expérimentations synthétiques ('Obsession'), ballade survitaminée ('Tiahuanaco'), influences orientales (la Face B 'Djihad' et 'Outside The Gate' qui annoncent ''Pandemonium'') alors que 'My Love Of This Land' à la tête tournée vers ''Brighter Than A Thousand Suns''. A l'arrivée, l'album sera éparpillé façon puzzle par la critique et les fans alors qu'il avait le mérite de proposer un instantané de cette époque. Avec son nouveau-né classé 92ème dans les charts pendant une semaine, la Blague Qui Tue commence à être salement éventée.
"On ne veut pas d'une section rythmique punk pour les huit prochaines années. Tant que je suis en vie et tant que Geordie est en vie, Killing Joke est en vie. On voulait un rythme funky puissant plus articulé." Jaz Coleman (mai 1988)
Fin de la première partie.