A l'occasion de sa venue à Paris pour la sortie du premier album de Sons Of Apollo nous avons eu le plaisir de nous entretenir une nouvelle fois avec un Ron Thal philosophe qui aborde avec sérénité tous ses défis.
Ron, c'est un grand plaisir de te parler une nouvelle fois surtout après la précédente interview qui correspondait à une période de changement pour toi avec des moments pas toujours faciles à gérer comme les sempiternelles questions sur ton départ de Guns'n Roses et les interrogations sur le premier album d'Art Of Anarchy assez décevant. Tu nous disais à l'époque que la vie t'apportait un certain nombre de défis à relever. Penses-tu avoir réussi à surmonter ces défis ?
Ron Thal : Je pense que j'ai surmonté ces défis et que j'en aurai d'autres à affronter, c'est la vie. Tant que tu n'acceptes pas ce genre d'événements tu ne peux pas accepter la vie elle-même. Il est important de ne pas se mettre en position de victime vis-à-vis des défis qui se présentent à toi et de comprendre que c'est vivre sa vie que d'accepter les hauts et les bas. Donc il faut vivre sa vie et ne pas se plaindre.
La dernière fois qu'on s'était vu tu m'avais dit qu'il y aurait beaucoup de changements dans ta vie avec de superbes projets en préparation, notamment Art Of Anarchy et aujourd'hui Sons Of Apollo. Les as-tu tous réalisés?
La dernière fois qu'on s'est parlé c'était il y a deux ans à peu près, non?
Oui, tout à fait.
Je pense qu'à cette époque il y avait deux projets sur lesquels je travaillais. Le premier
Art Of Anarchy…
Qui venait de sortir …
Oui, le premier album de
Art Of Anarchy était sorti. On s'est rapidement retrouvé un peu plus tard pendant une semaine et demie à New-York pour répéter ensemble dans la même pièce et écrire le nouvel album. Le reste de l'année 2016 a été occupé à l'enregistrement, le mixage, la production et tout ce qui vient après le travail de composition. "Madness" est sorti au début de 2017 avec un bon
single.
Donc c'est le premier projet en question. Et pour le second ?
Le second projet de l'époque est celui avec Darryl DMC Mc Daniels. On a réalisé le disque de
Fragile Mortal en juillet (NDLR : disque de hip-hop metal qui sort le 13 octobre 2017).
Pour le deuxième album de Art Of Anarchy on entend enfin un vrai groupe au contraire ce qu'on avait pu ressentir dans le premier album.
Tu as raison car le premier album de
Art Of Anarchy était plus l'album personnel de frères Votta. Il a été pensé comme tel dès le début. On ne s'est jamais retrouvé tous ensemble dans la même pièce pour composer comme un vrai groupe. C'est la grosse différence avec le nouvel album et cela s'entend dans le résultat. On était tous impliqué dans la composition. C'est un peu la même chose avec
Sons Of Apollo. Derek, Mike et moi avons échangé de très nombreux e-mails, des textos de manière quotidienne dès le début du groupe.
Il y a une longue histoire entre Mike Portnoy, Billy Sheehan et moi
Justement comment s'est fait la rencontre ?
Il y a une longue histoire entre Mike Portnoy, Billy Sheehan et moi. Nous avons beaucoup
jammé ensemble, nous avons partagé des scènes tous les trois et cela depuis des années et la logique de groupe était déjà en germe. Des automatismes se sont créés à ces occasions et un certain confort de jouer ensemble existait. Mike m'a contacté et m'a expliqué qu'il voulait monter un groupe avec Derek et voulait savoir si je serais disponible et surtout partant. Je connaissais Derek car on s'était croisé sur Progressive Nation à l'occasion de
jams avec
PSMS. Mike m'a dit que ce groupe serait un vrai groupe, qu'on se verrait pendant dix jours dans un studio de répétition pour enregistrer un album. On a ensuite échangé nos idées, moi mes riffs de guitare que je leur ai proposé, Derek ses plans de claviers…Tous les trois on a travaillé sur nos contributions pendant que Jeff et Billy étaient en tournée, on a répété et improvisé beaucoup pendant cette période.
On aurait pu croire que la musique Sons Of Apollo serait uniquement composée par Mike et Derek...
C'est un peu comme leur bébé…Mais on a tous contribué comme une équipe. On a tout écrit ensemble, on a répété ensemble, on a enregistré ensemble, on a composé ensemble, on a bâti les morceaux ensemble. Par exemple dans le morceau "God Of The Sun" Derek et moi avons apporté les idées principales ou pour "Lost Of Oblivion" pour lequel j'ai presque tout écrit. Pendant dix jours, du 1er mars au 11 mars on s'est tous retrouvé ensemble au studio, j'ai même pris des photos de nos journées là-bas.
Comment expliques-tu cette alchimie au sein du groupe ? On a du mal à imaginer que le groupe réalise son premier album tant l'entente et l'harmonie est audible.
Oui, cette alchimie n'est jamais garantie.
Quand nous avons rencontré Derek et Mike il y a peu on discutait sur le fait que Sons Of Apollo avait évité tous les clichés du metal progressif avec notamment ces superbes chants très mélodiques.
Si tu écoutes mes derniers albums, que ce soit dans
Bumblefoot ou
Art Of Anarchy, tu y entendras beaucoup d'éléments de metal progressif que l'on retrouve dans
Sons Of Apollo. Ce qui a joué c'est que côtoyer de tels musiciens élèvent forcément ton propre jeu et repousse tes propres limites. On s'est tous mutuellement influencé pour donner le meilleur de nous tous. Si rien n'est gagné par avance, le fait que nous nous connaissions depuis longtemps, que nous ayons déjà joué ensemble et que nos caractères soient compatibles a facilité les choses pour que cela fonctionne. Avec
Art Of Anarchy sur le deuxième album comme sur
Sons Of Apollo on a laissé la technologie de côté pour se concentrer sur l'âme du groupe et la création qui peut en émerger. Avec les nouveau outils, les logiciels et les
samplers tu peux tout faire tout seul dans ton coin mais il manque l'esprit de ce que tu créés. Dans mes derniers groupes on a enregistré dans les conditions du live pour garder cette énergie et cette vie qui donne le souffle à la musique.
Un groupe c'est comme un
bataillon, si un des membres n'agit pas dans le sens du collectif alors
ça met en danger tout le groupe
Dans la vidéo promotionnelle de l'album de Sons Of Apollo tu dis avec humour que tu as été très impressionné dans la première heure de répétition et que tu te demandais si tu étais la bonne personne pour jouer ce genre de musique? Qu'est-ce qui t'a la plus impressionné pendant ces sessions ?
J'ai quelques expériences dans divers groupes et à chaque fois quand tu rejoins un groupe il y a toujours beaucoup d'espoir que cela fonctionne et beaucoup de difficultés à gérer. Parfois des déceptions. A chaque nouvelle tentative il y a une appréhension à savoir si tout va bien se passer. Les choses peuvent bien commencer jusqu'à ce que le manager, le responsable du label ou les membres du groupe eux-mêmes viennent tout foutre en l'air. Un groupe c'est une équipe, une troupe, qui doit être lié comme un bataillon, si un des membres n'agit pas dans le sens du collectif alors ça met en danger tout le groupe. Donc je me pose toujours ces questions avant d'intégrer une formation. J'aime donner des cours, des conférences, des
clinics, j'aime produire. Je m'épanouis aussi dans ces activités mais il me manque le contact des autres dans un groupe, le fait de tourner et de jouer sur scènes. Avec
Sons Of Apollo, pendant la première heure de répétition je dois me concentrer sur le travail mais je me pose aussi la question de savoir si je suis à ma place à ce moment précis, ai-je envie de continuer avec ces gars. Si la réponse est non, je dois partir tout de suite et leur dire de trouver quelqu'un d'autre pour finir l'enregistrement pour les dix jours qui restent. Si oui, alors j'y vais et j'avance.
Et donc tu as ta réponse ?
Quand tu es un condamné à perpétuité tu le resteras. Toutes les questions qui se posent à la genèse d'un projet se reposent inévitablement à chaque fois.
C'est une question de confiance aussi ?
C'est l'autre facette des choses. C'est une question de confiance et de savoir si on peut dépendre d'autres êtres humains, se reposer sur d'autres personnes. La question est même de savoir si on peut dépendre de vingt personnes en même temps, ces vingt personnes qui gravitent dans l'entourage proche et dont la défaillance d'une seule de ces personnes peut provoquer l'arrêt du projet. Je fais confiance à Mike et Derek et j'ai confiance dans le groupe. Ce qui me préoccupe plus c'est tout ce qui se greffe autour comme le business de la musique par exemple. Tout peut partir en fumée à cause de ça. Est-ce que je veux continuer à faire ce que je fais? Écoute : cela fait quarante deux ans années que je tourne et que je joue sur scène. Quarante-deux putains d'années ! Je me suis posé la question il y a quelques temps de savoir si c'est ce que je voulais faire toute ma vie. J'ai d'autres possibilités qui s'offrent à moi, je peux faire d'autres choses dans la vie. Je peux passer le reste de mon existence à produire d'autres groupes, à donner des cours dans des écoles, à visiter le monde pour parler de mon art et de mon jeu de guitare. J'adore faire tout ça. Je peux passer le reste de ma vie à écrire de la musique pour la télévision ou le cinéma. Je n'ai pas besoin véritablement de tourner avec un groupe. Par contre, est-ce que je le veux ? La réponse c'est que je ne suis jamais aussi heureux à ce moment de ma vie que quand je fais de la musique. Et je ne vois pourquoi je devrais m'en excuser. Est-ce ce qui me rend heureux d'être dans un groupe une fois de plus et travailler sur un projet commun et tourner avec ce groupe… Est-ce que c'est cela que je veux ? Est-ce ce dont j'ai besoin ? Et si je vais dans cette direction est-ce que je ne me prive pas de l'opportunité d'être plus heureux encore en faisant autre chose? Ce sont le genre de questions qui sont les miennes et il n'y a rien de mal à se les poser, et je dirais même plus, il faut que chacun se les pose. Chacun devrait questionner sa propre vie.
Et si Mike ou Derek te propose une tournée?
Sans hésiter allons-y! De toute façon, suivant les choix que j'ai faits je suis un condamné (Rires). Je mourrai probablement sur une tournée (Rires).
Ton actualité c'est aussi ta carrière solo. Tu as signé chez EMP Label Group pour la réédition de “Little Brother is Watching" initialement sorti en 2015. Est-ce un album particulier à tes yeux qui justifie cette réédition ?
Il l'est. David (NDLR : Ellefson, le bassiste de
Megadeth, qui a créé le label et lui donne son nom Ellefson Music Productions) a beaucoup aimé l'album quand il est sorti et c'est lui qui m'a encouragé à le ressortir. Il m'a sollicité plusieurs fois et j'ai toujours repoussé en disant que je verrai ça plus tard. David est un type vraiment super, on a
jammé ensemble de nombreuses fois. Thom (NDLR : Hazaert), le manager du label, est un bon ami, un super type lui aussi. C'est vraiment très appréciable, à notre époque de la musique jetable qui s'écoute en numérique et se supprime si cela ne plait pas, de pouvoir sortir le disque physiquement, de l'avoir en main.
J'ai vraiment envie d'un album de guitare un peu fou
On célèbre le vingtième anniversaire de "Hermit" cette année. Cet album mais surtout "The Adventures Of Bumblefoot" ont été de véritables claques au moment de leur sortie. On avait rien entendu de tel depuis le "Passion & Warfare" de Steve Vai. Depuis tu n'as pas vraiment sorti de disque instrumental alors que tu avais l'idée de faire un album instrumental avec plein d'invités. Où en est le projet?
Oui, tu as raison, les vingt ans d'"Hermit" cette année ! Et j'ai vraiment envie d'un album de guitare un peu fou. Cela fait deux ans que je dis que je veux le faire! Je vais le faire et je veux que cela soit très spécial. Je vais aller chercher tout le monde, la crème de la crème.
Dans la liste de tes projets tu nous avais parlé aussi de ce rêve de croiser le fer avec Mattias Eklundh de Freak Kitchen et Guthrie Govan…
Mattias et moi avons les mêmes problèmes, tellement de choses à faire et peu de temps pour les concrétiser. En novembre on devait aller en Asie avec Mattias pour faire des démonstrations et à la dernière minute le gouvernement ne nous a pas délivré les permis d'autorisation et toutes les locations que nous avions faites ont été annulées. C'est une personne avec laquelle j'aimerais vraiment travaillé dans le futur. Il y a aussi Guthrie (NDLR : Govan que l'on ne présente pas) qui est intéressé mais qui n'a pas encore donné son accord final sur le projet.
J'adore dire non !
Tu es un boulimique de travail, on l'a vu avec tous les projets qui sont en cours et ceux que tu envisages. Tu donnes aussi des concerts de charité. Est-ce que Ron Thal ne sait pas dire non?
Je dis non à 90% des offres que je reçois (rires). Le mot le plus important d'une langue est "non"! A chaque que je dis "oui" cela a une valeur et m'engage. Tu te dois de dire non car sinon tu passes à côté des choses qui comptent vraiment. Un musicien a cette mauvaise habitude de dire oui car il veut travailler, il veut construire son réseau, cultiver ses relations, être dans le coup donc il dit oui, oui, oui…Mais à un moment il est amené à commencer à dire non car des choix s'imposent et qu'il est impossible de faire trois choses en même temps. La plupart des musiciens que je connais sont trop occupés et ont du mal à gérer leurs engagements car ils ne savent pas dire non. Personnellement je m'en sors beaucoup mieux depuis que je dis non, et j'adore dire non.
Maintenant que tu es engagé pleinement dans Sons Of Apollo, est-ce que ça implique l'arrêt d'Art Of Anarchy et de tes autres projets ?
Ce n'est pas la fin de tout ça. Cette année est l'année de
Art Of Anarchy et l'année qui vient sera celle de
Sons Of Apollo. On a beaucoup tourné avec
Art Of Anarchy aux Etats-Unis cette années, on a sorti l'album, on a enregistré des vidéos. Ça tombe bien car en ce moment Scott Stapp (NDLR : nouveau chanteur de
Art Of Anarchy), John Moyer (NDLR : le bassiste de
Art Of Anarchy) et moi-même avons beaucoup de travaux sur le feu.
Sons Of Apollo va tourner beaucoup les mois à venir, on va s'engager dans divers festivals estivaux comme par exemple "Be Prog My Friend" à Barcelone (NDLR : les 29 et 30 juin 2018). La troupe de soldats
Sons Of Apollo est en ordre de marche pour en découdre très rapidement.
Adaptes-tu ton jeu selon le groupe avec lequel tu joues ?
Tous les riffs que je créé peuvent aussi convenir pour
Art Of Anarchy,
Sons Of Apollo ou mes albums personnels. Quand je pars en solo je compose dans une mesure 11/16 plutôt que 4/4 et quand je place des accords c'est aussi en pensant à ce que Derek pourra mettre comme chorus dessus. C'est toujours pareil, les parties que je joue, les solos que je tente dépendent de l'atmosphère générale du passage dans le morceau. Les grooves de Mike vont aussi déclencher certaines réactions harmoniques dans mon interprétation. Jouer avec
Sons Of Apollo me change un peu de mes habitudes car avec
Art Of Anarchy les approches y sont plus diatoniques et rythmiquement moins exigeantes. Dans
Sons Of Apollo Derek utilise beaucoup d'accords suspendus et les modulations y sont nombreuses.
Chaque événement est à aborder comme une leçon pour apprendre et grandir.
Tu utilises les guitares Vigier depuis de très nombreuses années. Qu'est-ce qui te lie à Vigier et pourquoi Vigier plutôt qu'une autre manufacture ?
Vigier c'est ma famille. Cela fait vingt ans que l'on collabore ensemble et je ne suis pas un fanatique concernant le matériel en demandant que les dernières évolutions, les derniers gadgets me soient offerts. Premièrement, et c'est le plus important, les personnes de chez Vigier sont extraordinaires et je suis heureux de les compter parmi mon entourage. Deuxièmement, ils font de superbes instruments et c'est fondamental. Des personnes géniales qui font des instruments géniaux.
On revient un peu à la première question sur les défis que tu as à surmonter. Est-ce que tu considères cette période de ta carrière comme la plus fertile?
Difficile à dire car le meilleur est toujours à venir. La question n'est pas forcément de se demander si c'est la meilleure période de ma carrière mais plutôt d'accepter sa vie telle qu'elle est et de choisir d'être heureux. Ensuite il faut savoir être reconnaissant en apprenant à l'être. Je suis d'un naturel à beaucoup stresser et à prendre les choses très à cœur et parfois c'est dur à encaisser. Je travaille aussi pour changer mon point de vue sur ma manière de voir les choses et les événements qui surgissent dans ma vie. Les choses sont ce qu'elles sont et seule la façon de les appréhender peut modifier l'impact que les choses ont sur toi. Dans la pire des situations il y a du bon. Chaque événement est à aborder comme une leçon pour apprendre et grandir.
Ron Thal est finalement un philosophe…
Peut-être, autant que possible! Ça me rend juste heureux d'avoir ces approches et ces façons de penser.
Merci beaucoup
Merci à toi (en français dans le texte)
Un grand merci à Struck, PhilX et Newf.