Tu passes toujours chez Paulette ! Quel est ton regard sur cette salle lorraine ?
C’est une tradition et en plus c’est une personne que l’on aime beaucoup. Ça fait partie des lieux qui ont une histoire et une légende, comme le Golf Drouot sur Paris ou encore le Spirit Of 66 de Verviers en Belgique. Il y a des gens comme
Mick Taylor,
Paul Personne qui sont passés ici. C’est toujours un bonheur de venir et inconsciemment on le fait différemment dans ces lieux, le show est plus rock and roll. C’est très convivial et intimiste et on se sent bien ici.
Que penses-tu de la reprise du lieu par la troisième génération (Julien le petit-fils) ?
Oui c’est très bien et je souhaiterais que ce soit la même chose pour
Ange le jour où je prendrai ma retraite définitive et que j’irai torcher le cul au firmament. Il est évident que je trouve cela bien de transmettre un patrimoine et il est très important ici.
C'est toujours avec un peu de scepticisme que l'on aborde la reprise d'une œuvre ayant connu un tel succès ?
Ce n’est pas une reprise mais plutôt une résurrection, c’est comme si Emile nous avait fait un signe depuis les limbes, de très loin au milieu de nulle part et nous disait: "les gars, faites du bien aux gens en revisitant cet ouvrage". Il y a des nouveaux morceaux avec des légendes nouvelles qui sortent de mon esprit. Comme le titre 'Innocents Les Mains Sales' qui parle de l’égalité car on a tous commis des actes injustes consciemment ou inconsciemment. 'Gustave et Lucie', où j’ai imaginé que Courbet avait rencontré dans une vie antérieure Lucie, la première femme découverte par les paléontologues. Et je me suis dis que c’est ce qui l’a inspiré pour son tableau ‘L'Origine Du Monde’ : c’est un hymne à la femme. D’ailleurs, je dis « Le singe descend de l’arbre, l’Homme descend de la femme non pas parce qu’il la monte mais parce qu’il en est le fruit ». 'Le Bouseux', qui est un clin d’œil aux paysans et un pied de nez au parisianisme (persuadé que les tomates et les patates poussent à Rungis).
L'exercice est-il périlleux ?
Non, cela a été vraiment passionnant. A l’époque en 1975 la face B du vinyle était moins aboutie et ressemblait plus à une maquette. Cela nous a permis de faire quelque chose de mieux fini, de plus abouti. Je compare souvent cela à la coccinelle Volkswagen et à sa nouvelle version moderne, il y a toujours le même cachet du départ mais carrossé différemment. Souvent les gens me disent "c’était mieux avant", mais le mec qui dit cela, d'un autre côté, il n’a plus de téléphone à cadran mais un Iphone par exemple (rires).
Alors justement, considères-tu l'album original comme un album "malade", avec une excellente première face et une deuxième face contenant quelques chansons pléthoriques qui manquent à la fois de finesse et d'intérêt et est-ce que cette nouvelle édition vise à corriger le tir?
Oui c’est exactement cela car en fait à l’époque on faisait 200 concerts par an et il fallait sortir un opus annuellement (contrat de l’époque). On composait entre les balances par exemple. Je me souviens pour 'Aurélia',
Jean-Michel Brézovar jouait des lignes et moi à travers le mur je l’entendais et j’ai pensé à ce texte. A cette époque, c’était aussi difficile car il y avait la « dope » chez certains et tout le monde sait que la came … isole (rires) et donc c’était dur de finir cette face B.
Un des anciens membres d’Ange a revisité le premier album du groupe il y a quelques mois, qu’en penses-tu ?
Tu penses à l’album "Caricatures", par mon frère. Ce qui me gène un peu, c’est la batterie programmée, je pense qu’il y avait quelque chose de moins électronique à faire. Pour sa partie, les claviers rendent vraiment bien en revanche. Sinon je trouve vraiment bien son album sur Deubel ("Epitaphe"), il a fait du super bon boulot et l’album est excellent. Il a incontestablement bien évolué avec son groupe
Gens de la Lune.
A l’époque, Emile avait-il écouté la première mouture ?
Oui, il l’a écoutée. La société Philips lui avait même offert le disque d’or et une chaîne pour l’écouter car il n’en avait pas. Il savait qu’il servait de liant aux différents titres pour la trame du disque mais je ne suis pas persuadé qu’il ait écouté le disque dans son intégralité.
A ton avis, que dirait le "Petit Vieux de tous les temps" de la vie d'aujourd’hui ?
Ce qu’il dit dans l’album, c’est une analyse du progrès avec ses côtés positifs et négatifs. Je pense qu’il serait encore plus étonné de ce qui se passe aujourd’hui et c’est pas près de s’arrêter jusqu'à explosion ou implosion.
Le livret est illustré de façon magnifique par ton fidèle collaborateur, Phil Umbdenstock. Quels sont vos rapports aujourd’hui et comment faites-vous pour durer si longtemps ?
Oui c’est un partenaire depuis 1973, chacun aime le travail de l’autre et pas besoin de beaucoup parler et c’est encore plus rapide aujourd’hui avec internet.
"Emile Jacotey Résurrection" ne se contente pas de nous proposer une redite des titres publiés 40 ans plus tôt. Il s'agit véritablement d'une œuvre à part entière, avec de nouveaux arrangements et développements qui sont venus enrichir la partition initiale ; c'est particulièrement le cas de 'Jour Après Jour', 'Les Noces' et 'Emile Jacotey' lui-même déplacé en fin d'album.
Oui exactement, et pour 'Emile Jacotey' je voulais en faire une sorte de concerto en montant d’un ton le chorus de guitare qui arrive très trash et violent. Cela offre un contraste avec le début et ses arpèges et le milieu plus violent. C’est une pièce qui rend hommage au personnage.
Est-ce que tu envisages de dépoussiérer un autre ancien album ou est-ce que tu considères cette expérience non pas comme unique mais conclue ?
Non, pas pour l’instant. Ou faire un prequel, pourquoi pas ? Dans ce dernier album j’ai surtout exploité le mini-opéra qu’était 'Ego et Deus' avec ces noces qui clôturent le morceau.
L’erreur sur la pochette originale est-elle corrigée ? 'Aurélia' qui était écrit 'Aurealia'
Oui bien vu, c’est juste une faute de frappe d’une jeune secrétaire de chez Philips, c’est corrigé depuis !
Est-ce que le groupe Ange a eu des contacts avec le groupe Machin, également franc-comtois ?
Oui j’ai connu les frères
Carbonna mais je n'ai plus de contact avec eux depuis les années 2000, avec Alain qui est luthier sur Mirecourt et Tony qui fut manager de
Thiéfaine.
Et le groupe Pentacle, également de Belfort, présenté comme un rival le temps d'un album ?
Effectivement, il avait sorti un premier album avec
Gérard Huez, dans un style très proche des
Moody Blues (les claviers surtout). Il n'a fait qu’un seul album "La Clef des Songes" pour lequel j’ai participé à la production.
Quel est ton meilleur souvenir d’artiste ?
Un des meilleurs, il y en a eu beaucoup, mais je dirais le festival de Redding en Aout 1973 où on jouait avant des groupes comme
Genesis. Dans le public, il y avait en particulier un petit jeune de 15 ans du nom de
Steve Hogarth (
exclu Music Waves). Il m’a par ailleurs dit depuis : "tu fais partie des gens qui m’ont donné envie de chanter et de faire de la scène !"
Avant de se quitter, un dernier mot aux lecteurs de Music Waves ?
Allumez vos ordinateurs et lisez Music Waves, écoutez aussi !!! Les deux en même temps, un peu comme dans 'L’Oeil et L’Ouïe', le morceau qu’il y a dans l’album "Le Bois Travaille Même le Dimanche".
Je vous souhaite le meilleur pour la suite et ce fut un grand plaisir en tout cas.
Merci à TonyB et AdrianStock pour les questions.